Jacobins 👉 Loin des anachronismes.

Ils ont mauvaise presse mais les connaĂźt-on vraiment au-delĂ  des raccourcis, des caricatures et des anachronismes ?

Dans son livre intitulĂ© Les Jacobins (La dĂ©couverte, 1999, 2001) Michel Vovelle tente une synthĂšse de l’idĂ©ologie qui anima le mouvement jacobin durant la dĂ©cennie rĂ©volutionnaire. Ni la Terreur ni le centralisme excessif ne sont au cƓur de ce que l’on peut lĂ©gitimement retenir de l’idĂ©ologie qui sous-tendait leurs expressions et leurs actions.

On pourra utilement lire le chapitre que je reproduis ci-dessous. Mais en résumé, Vovelle retient :

  • En premier lieu la promotion de la libertĂ© sous toutes ses formes : libertĂ©s civiles, libertĂ© d’expression, libertĂ© de conscience, les doits des hommes de couleurs et la libertĂ© d’entreprendre.
  • une Ă©volution progressive s’observe s’agissant des limites Ă  apporter aux libertĂ©s — notamment libertĂ© de circulation des marchandises ou de fixation des prix — Ă  la taxation des riches, Ă  l’assistance aux plus dĂ©favorisĂ©s et Ă  la solidaritĂ©
  • une place spĂ©ciale laissĂ©e Ă  l’idĂ©al Ă©galitaire qui se traduit par la reconnaissance du caractĂšre premier du droit Ă  l’existence complĂ©tĂ© par l’égalitĂ© des droits politiques et ses corolaires : la dĂ©mocratie authentique et l’abolition de l’esclavage

A ces éléments on rajoutera :

  • le patriotisme
  • et une forme de fraternisation cosmopolite

Extrait :

« En guise de question prĂ©alable, peut-on faire Ă©tat d’un discours sans introduire de nĂ©cessaires modulations dans le temps, en fonction de l’Ă©laboration progressive des mots d’ordre, de la pĂ©riode de la monarchie constitutionnelle Ă  celle du gouvernement de salut public ? Un certain nombre de constantes semblent s’imposer : la dĂ©fense de la ou des libertĂ©s vient naturellement en premier comme celle d’une des conquĂȘtes politiques essentielles, dans le domaine tant des libertĂ©s civiles que de la libertĂ© d’expression – via la presse – ou de conscience. Sur tous ces points, un consensus semble de rĂšgle, dont tĂ©moignent un certain nombre des grandes campagnes d’opinion des premiĂšres annĂ©es – ainsi sur le problĂšme de la traite et des droits des hommes de couleur (mĂȘme si cet exemple rĂ©vĂšle a contrario des diffĂ©rences d’apprĂ©ciation notables entre milieux portuaires et France de l’intĂ©rieur). Autre thĂšme sensible : quelles sont les limites de ces libertĂ©s, notamment dans le domaine Ă©conomique et dans celui des subsistances ? Le groupe dirigeant, jusqu’Ă  l’automne 1791 et mĂȘme au-delĂ , est nourri d’une idĂ©ologie libĂ©rale, ou du moins proche des idĂ©es physiocratiques, et, de ce fait, dĂ©fend la libertĂ© de circulation des grains, comme celle du prix des subsistances. Cette attitude perdurera assez longtemps, chez les porte-parole parfois les plus avancĂ©s du club. SinguliĂšrement, on doit relever sur le terrain le trouble, voire l’incomprĂ©hension manifestĂ©s au printemps 1792 Ă  l’Ă©gard du mouvement populaire rural, des taxations dans les plaines de grande culture, comme dans le Midi, dĂ©noncĂ©es par Roland et les brissotins, mais qui laissent perplexe Robespierre lui-mĂȘme. Les clubs cĂ©lĂ©breront, avant de rĂ©viser leur attitude, la mĂ©moire de Simonneau, le maire d’Étampes massacrĂ© sur le marchĂ© de sa ville et devenu le martyr de la loi. À un contre-rĂ©volutionnaire qui lui disait : « VoilĂ  un coup de vos jacobins », le fils de la victime n’a-t-il pas rĂ©pondu : « Mais mon pĂšre Ă©tait jacobin !» C’est sous la pression du mouvement et de la revendication populaire que les jacobins vont inflĂ©chir ce discours pour se convertir Ă  la taxe, puis au maximum, et dĂ©noncer l’égoĂŻsme des riches et des nĂ©gociants, mettant l’accent tant dans la pratique que dans les mots sur l’assistance aux plus dĂ©favorisĂ©s, comme aux familles des soldats, multipliant les contributions volontaires et les quĂȘtes.

La libertĂ© d’entreprendre a cĂ©dĂ© la place Ă  un idĂ©al Ă©galitaire, correspondant, dans les sociĂ©tĂ©s de seconde gĂ©nĂ©ration, aux aspirations des petits producteurs indĂ©pendants qui, sans remettre en cause la propriĂ©tĂ© individuelle au nom d’un partage agraire qu’ils rĂ©cusent, adhĂšrent volontiers Ă  la reconnaissance du droit premier Ă  l’existence, tel que Robespierre en a exposĂ© les principes dans son projet de dĂ©claration des droits prĂ©sentĂ© au club en avril 1792. Cet Ă©galitarisme bien tempĂ©rĂ© marque l’aboutissement d’un cheminement initiĂ© au feu des dĂ©bats de la pĂ©riode Constituante, pour la conquĂȘte de l’Ă©galitĂ© dans le domaine politique, contre le cens Ă©lectoral et le « marc d’argent », en faveur d’une dĂ©mocratie authentique, qui annexera Ă  son programme l’Ă©galitĂ© des races et l’abolition de l’esclavage. Si l’on sait que la trilogie rĂ©publicaine libertĂ©-Ă©galitĂ©-fratemitĂ© ne s’officialisera que sensiblement plus tard, la troisiĂšme de ces valeurs n’est pas mĂ©connue dans l’idĂ©al jacobin : la pratique des fraternisations entre sociĂ©tĂ©s, expĂ©rimentĂ©e trĂšs tĂŽt comme la solidaritĂ© active des sociĂ©taires, en est l’illustration.

Il convient d’y adjoindre le patriotisme, autre valeur progressivement affirmĂ©e, sous ses enveloppes successives, des grands dĂ©bats sur le droit de paix et de guerre Ă  celui de l’hiver 1792, oĂč s’affrontĂšrent Robespierre et Brissot, puis Ă  l’effort de mobilisation nationale des annĂ©es de lutte. Armer et monter un « cavalier jacobin » devient en l’an II l’objectif des sociĂ©tĂ©s populaires, quand on ne projette pas plus ambitieusement encore de contribuer Ă  l’armement d’un navire. On a dĂ©noncĂ©, non sans arguments, la dĂ©rive qui, d’un souci initial de fraternisation cosmopolite, va conduire aux feux de la guerre Ă  une attitude ombrageuse et jalouse, diabolisant les adversaires et dĂ©nonçant leurs complots, et en premier lieu les Anglais.

Peut-on faire de cette Ă©volution un trait spĂ©cifique du jacobinisme ? À l’usage interne, la pĂ©tition de principe qui l’emporte, au niveau des mots d’ordre progressivement forgĂ©s, est la revendication de l’unitĂ© et de l’indivisibilitĂ© en haine de toutes les tentations du fĂ©dĂ©ralisme, et c’est sans doute ce trait qui sera transmis comme le plus caractĂ©ristique de l’esprit Jacobin, quand les sociĂ©tĂ©s se sont faites en l’an II les relais de l’influx transmis par le gouvernement rĂ©volutionnaire et ses agents. Mais on ne saurait oublier que cette austĂšre discipline coexiste au prix d’une tension constante et qui fut fort vive Ă  l’hiver 1793, avec le net sentiment du droit Ă  l’exercice direct de la souverainetĂ© populaire et aux initiatives collectives de salut public, dont les congrĂšs des sociĂ©tĂ©s populaires, tels que nous les avons Ă©voquĂ©s dans le Midi, ont manifestĂ© la vellĂ©itĂ©. »

Michel Vovelle, Les Jacobins, pp. 52-53, La dĂ©couverte, 1999 – 2001

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