Domestiquer la mondialisation

Domestiquer la mondialisation, David Djaiz mobilise les analyses de nombreux chercheurs et propose une feuille de route…

David Djaïz a publié il y a trois semaines un livre important. Depuis des années si ce n’est des décennies, les observateurs de notre époque opposent deux phénomènes : la mondialisation d’un côté et la nation démocratique de l’autre. Or durant ces dernières années, et plus particulièrement depuis 2016, chacun a pu constater qu’il n’est plus possible de continuer à nier la légitimité de la nation démocratique (votes et solidarités à l’échelon national) pour tout miser sur la mondialisation (loi du marché, règles issues d’accords ou d’organismes internationaux, etc.). La mondialisation est désormais régulièrement remise en cause par les électeurs des nations démocratiques. Le Royaume-Uni avec le Brexit et les Etats-Unis avec l’élection de Donald Trump en sont les illustrations les plus frappantes. C’est l’analyse de cette tension entre mondialisation et nation démocratique que David nous propose ainsi que les pistes de solutions pour sortir par le haut de ce cercle vicieux. Si le titre du livre — « Slow démocratie » — peut paraître a priori hermétique, son sous-titre donne une idée précise de là où se place l’auteur, c’est-à-dire du côté de la démocratie : « Comment maîtriser la mondialisation et reprendre notre destin en main » (Allary Editions, 2019).

David Djaïz propose au lecteur un voyage dans les 40 dernières années lui permettant de mettre en lumière les trois traits qui, pour lui, caractérisent notre époque.

Le premier trait de caractère identifié par David commence autour de 1979. Il s’agit de « l’ordre libéral non démocratique ». Il décrit dans cette première partie du livre l’installation du néolibéralisme dans le paysage intellectuel suivi assez vite de son hégémonie dans les politiques publiques avec son lot de dérégulations internes aux états et dans les relations entre nations. Le déploiement de la mondialisation installe progressivement une forme d’impuissance des politiques démocratiques conduisant ensuite à une montée du national-populisme. David Djaïz argumente en faveur de la nation démocratique comme « écluse de la mondialisation » : « il ne s’agit pas de se claquemurer derrière des remparts mais au contraire d’organiser une régulation des flux économique de la mondialisation, comme les écluses organisent la circulation des bateaux sur un canal ».

Ensuite D. Djaïz fait débuter le deuxième trait de caractère de notre époque en 1989. Il s’agit d’une « sécession des élites » qui se fait avec la montée des inégalités au sein des sociétés industrielles, inégalités accompagnées d’un séparatisme social. « Que ce soit par égoïsme (évasion fiscale) ou par cosmopolitisme (discours candide de certains humanitaires), l’adieu des élites à la nation fragilise la solidarité nationale ». Et pourtant « la justice sociale ne flotte pas dans le ciel des idées. Son passé comme son avenir sont consubstantiellement liés à la nation démocratique ». Il est donc nécessaire de réactiver la nation démocratique pour maintenir la solidarité et la justice sociale.

C’est à partir de 2008 que D. Djaïz identifie une « échappée des régions riches ». Un séparatisme géographique vient soutenir celui social le tout sur fond de contrainte extérieur quant à la réduction des dépenses publiques. Il esquisse à partir de là ce qu’il appelle un « green new deal territorial ». Et c’est probablement cette partie du livre qui est la plus prometteuse. Djaïz y ouvre un horizon intéressant, inexploré jusque-là, il y esquisse quelques idées qui pourraient être utile pour la réactivation de la nation démocratique tout en laissant à l’échelon local les thématiques mieux gérées dans la proximité et un échelon européen à redéfinir radicalement où serait traitées certaines questions nécessitant une force de frappe supérieure à celle des seules nations.

La grille d’analyse de David Djaïz s’appuie sur les travaux de plusieurs chercheurs, en particulier Dani Rodrik et Pierre-Noël Giraud. Le divorce entre mondialisation et démocratie apparait explicitement dans ce que Rodrik décrit sous la forme d’un triangle d’incompatibilité où seuls deux des trois objectifs désirables sont compatibles : états-nations forts, intégration économique mondiale, démocratie vivante. L’autre divorce, mise en lumière par Giraud, est celui séparant les « sédentaires » des « nomades ». Les premiers « produisent des emplois et des servcies consommables sur place et non délocalisables ». Les seconds sont en concurrence avec le reste de l’économie mondialisée et s’y adaptent plus ou moins bien selon qu’ils soient peu qualifiés (téléopératuer en centre d’appel, ouvrier du textile, etc.) ou très qualifiés (ingénieur en aéronautique, banquier d’affaire, etc.).

David DjaÏz a abordé presque toutes les facettes de la mondialisation, sans dogmatisme (ni fantasmagorique mondialisation heureuse des vainqueurs ni impossible retour en arrière des nostalgiques). On regrettera seulement qu’une facette de la mondialisation, et non des moindres, soit absente de son analyse : celle culturelle en lien avec les mouvements de populations. Cette dimension de la mondialisation est structurante car (1) les mouvements de capitaux, de biens et de services ne définissent pas à eux seuls la mondialisation et (2) les démocratie se sont consolidées dans des nations culturellement homogènes (avec quelques exceptions mais qui ne sont pas sans justement poser quelques difficultés : les Etats-Unis par exemple).

On ressort néanmoins de ce livre avec deux sentiments et une certitude. D’abord celui d’être plus intelligent en refermant la dernière page qu’en ouvrant la première. En effet, l’auteur mobilise un corpus de penseurs et d’analyses d’une grande richesse et non cantonné au paysage intellectuel franco-français. Le deuxième sentiment est celui que l’auteur ne propose pas seulement une analyse théorique de l’état de nos sociétés démocratiques mais essaient d’aller jusqu’à proposer des esquisses de politiques publiques capables de répondre aux enjeux mis en lumière dans son analyse. Gageons que d’autres travaux permettront de creuser certaines esquisses.

Une certitude se dégage de tout cela : si la gauche veut revenir un jour au pouvoir, elle devra reprendre à son compte un républicanisme où la question démocratique à l’échelon national est conjuguée avec une quête d’universalisme. On éviterait ainsi l’alternative mortifère de tout laisser au bon vouloir des marchés ou à celui des égoïsmes populistes. On permettrait alors aux citoyens de reprendre le contrôle de leur destin commun retrouvant ainsi la promesse républicaine initiale. Et David Djaïz apporte une contribution solide à cette domestication républicaine de la mondialisation, qu’il en soit ici remercié !

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