Puisqu’on évoque ces jours-ci la réforme de nos institutions démocratiques, j’en profite pour évoquer les travaux de Yascha Mounk qui est un jeune chercheur en science politique de l’université de Harvard.
Mounk a notamment publié deux études en 2016 et 2017 sur ce qu’il appelle la « déconsolidation démocratique ». Il a aussi publié en 2018 un essai extrêmement stimulant intitulé The People vs. Democracy. Why Our Freedom Is In Danger & How To Save It (Harvard University Press).
Sa thèse — je fais court– c’est que la démocratie libérale telle que nous la connaissons est en danger. Il définit la démocratie comme un système conçu pour traduire la volonté du peuple en politiques publiques, mais il souligne qu’elle ne suffit pas à elle seule à définir nos régimes. En effet, nos systèmes politiques sont plus précisément des démocraties libérales ce qui signifie que non seulement elles doivent traduire la volonté populaire en politiques publiques, mais qu’elles doivent le faire tout en sauvegardant les libertés individuelles et collectives. C’est ce couple-là — démocratie et libéralisme politique — qui a fait le cercle vertueux que nous connaissons sous nos cieux. Cercle vertueux qu’il juge sérieusement en péril et pour lequel il propose des pistes de sauvetage. J’y reviendrai dans une prochaine note de lecture de son essai.

Néanmoins je voulais partager ici les signaux — pas si faibles que ça — que Mounk et son coauteur Stefan Foa ont mis en lumière en juillet 2016. Signaux inquiétants s’il en est puisque le premier graphique montre que lorsqu’on demande aux Américains à quel point « vivre en démocratie » leur paraît « essentiel », 72% de ceux qui sont né avant la deuxième guerre mondiale mettent une note de 10 sur échelle qui va de 1 à 10. Et plus on avance dans l’année de naissance moins l’attachement à la démocratie est considéré comme « essentiel » (à peine plus de 30% pour ceux nés dans les années 1980). Et la courbe est quasi identique pour les Européens (à peine 45% pour ceux nés dans les années 1980). Dans le deuxième graphique, chez les jeunes Américains nés dans les années 1980 et interrogés en 2011, 24% considèrent la démocratie comme « un mauvais ou très mauvais mode de gestion d’un pays » (dans la génération précédente interrogée au même âge : 20%). Chez les jeunes Européens, la tendance est aussi à l’augmentation : 13% et dans la génération précédente interrogée au même âge : 8%. On voit donc bien que l’opinion que les plus jeunes générations se font de la démocratie se dégrade nettement des deux côtés de l’Atlantique.
Ce vent mauvais se confirme lorsque l’étude va plus loin en interrogeant la volonté des différentes générations étudiées de sortir des institutions démocratiques ou en interrogeant leur volonté de soutenir un leader autoritaire.
On critique souvent — à tort — les études d’opinions qui sont, pour moi, le thermomètre qui mesure la fièvre : en cassant le thermomètre, on ne réduit pas la fièvre, on se contente de ne pas la sentir et on s’empêche donc d’en traiter les causes. En démocratie l’utilité de nos convictions est limitée si elles ne sont pas partagées par le plus grand nombre, or comment convaincre le plus grand nombre si on ne sait pas ce qu’il a à l’esprit ? Voilà pourquoi les études d’opinion sont utiles à quiconque prétend vouloir gouverner. Et les études de Yascha Mounk et de quelques autres (je citais ici Ivan Krastev il y a quelques jours) sont nécessaires pour comprendre le monde dans lequel nous vivons et pour imaginer les modalités politiques les plus effectives pour le transformer.
Les pin’s, concerts et autres « barrages », ça marche une fois ou deux, mais au bout d’un moment, ça n’est plus vraiment efficace et les démocrates sincères n’ont nulle envie que leurs enfants grandissent dans un régime autre que celui de la démocratie libérale — en particulier ceux parmi eux qui ont connu de près les régimes non-démocratiques et/ou non-libéraux !
Notes :