Investissement et « contrainte extérieure »

Les cours d’histoire économique incluent généralement un chapitre sur le début des années 80 avec un concept phare, celui de la contrainte extérieure. Des commentaires récents sur la suppression de l’Impôt sur la fortune non-immobilière m’y font fait penser. Voilà pourquoi…

Rappel

Lorsque, en 1981, François Mitterrand laisse filer les déficits publics pour relancer l’économie, les déséquilibres extérieurs se creusent. L’argent frais injecté par l’état dans l’économie nationale induit des dépenses en France — consommation des ménages et investissement des entreprises. Mais, à partir du moment où les frontières sont ouvertes, ces dépenses s’orientent vers des produits dont une partie grandissante provient de l’étranger. Les achats de produits étrangers génèrent alors un déficit du commerce extérieur — solde entre ce qu’on achète à l’étranger et ce qu’on y vend — et donc de la balance des paiements — solde entre l’argent qui sort du pays lorsqu’on achète à l’étranger et l’argent qui rentre dans le pays lorsqu’on vend à l’étranger. Le mécanisme ainsi décrit — sommairement, j’en conviens, je ne suis pas économiste et on est sur rapide billet de blog ☺ —  est appelé « contrainte extérieure ». Tétanisé — à tort ou à raison, telle n’est pas la question ici — par cette contrainte, plus personne n’ose suggérer une politique de relance de la demande — la demande étant composée, on l’oublie souvent, de la consommation et de l’investissement.
J’ai repensé à ce mécanisme de la contrainte extérieure lorsque j’ai entendu un nombre important de commentateurs et de militants du macronisme se féliciter de la suppression, dans le budget 2018, de l’impôt sur la fortune non-immobilière. Leur raisonnement était le suivant : le manque à gagner de l’état restera dans la poche des « premiers de cordée » qui pourront alors l’investir dans l’économie et ainsi créer des emplois. A priori ce raisonnement est cohérent et pourtant…

 Quel investissement ?

Je suis un défenseur acharné de l’investissement—public ou privé. Plus précisément, ce qui me paraît central dans l’économie politique c’est l’investissement productif — celui qui permet de produire des biens et de services. Il est réalisé avec un espoir de rentabilité à moyen et long termes et s’oppose ainsi aux investissements boursiers focalisés sur le court terme et le gain rapide déconnecté de l’économie réelle. Je milite pour un effort public *et* privé sur l’investissement productif en France car c’est ce qui renforcera l’économie française et l’emploi en France.
Mais pour revenir aux défenseurs de la politique économique macroniste qui souhaitent favoriser l’investissement en rendant  aux contribuables les sommes précédemment versées dans le cadre de l’ISF, on opte désormais pour les laisser libres d’investir ces sommes-là où ils le souhaitent. Elles peuvent l’être dans des investissements productifs en France (1) ou à l’étranger (2), elles peuvent l’être dans des investissements boursiers (3). Le cas (3) des investissements boursiers se caractérise par son court-termisme et sa déconnexion de l’économie réelle : seule la rentabilité rapide compte. Le cas (2) renforce les moyens de production — y compris l’emploi — à l’étranger. Le cas (3) renforce les moyens de production — y compris l’emploi — en France. La vision libérale du monde perçoit la liberté comme non-interférence et laisse donc le contribuable libre de choisir entre les 3 cas ci-dessus. C’est l’approche macroniste. La liberté républicaine comme non-domination se permet quant à elle des interférences, celles-là même qui permettent d’orienter les sommes rendues aux contribuables les plus aisés. Dans cette vision-ci, l’état a le droit — le devoir — de déterminer ce qui est favorable au bien commun. Et dans le cas présent, il me semble évident que si on veut favoriser la création de richesses en France et l’emploi en France, il est préférable d’orienter ces sommes vers l’investissement productif en France.

 Agir sur le réel ?

Rendre l’argent aux plus aisés des contribuables et les laisser libres de le placer, directement ou indirectement à l’étranger, revient à se soumettre soi-même à une autre forme de cette fameuse « contrainte extérieure » qui tétanise tant les décideurs publics depuis l’expérience apparemment traumatisante de 1981-1983. Est-ce sérieux de s’y soumettre volontairement ? Je ne le pense pas !
Une gauche républicaine devrait se fixer comme objectif d’agir — démocratiquement — sur le réel au nom de l’intérêt général. Investir en France et favoriser l’investissement en France c’est agir favorablement sur le réel que vivent nos concitoyens, c’est consolider le bien commun.

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