Ce n’est pas souvent que je le fais. J’accueille aujourd’hui sur ce blog un camarade socialiste nantais qui a écrit un texte que j’estime être d’utilité publique. Vincent Grenier y aborde de manière très didactique un mythe moderne. Un mythe généralement apprécié et diffusé par l’extrême droite. Mais pas seulement.
Ce genre de texte circule de plus en plus souvent sur Facebook. Attention, il est mensonger.
Il traite de la loi de Loi n°73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France. Ce sujet est devenu compliqué et glissant depuis que l’extrême droite s’en est emparé. Beaucoup d’approximations ont été faites, beaucoup de désinformation. Voici quelques explications :
- D’abord, la banque Rothschild n’a rien à voir avec cette loi. À gauche, on l’appelle « loi Pompidou-Giscard », ou « loi de 1973 ». Son titre officiel est « Loi n°73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France ». Seule l’extrême droite l’appelle loi Rothschild, pour faire référence au passé de banquier d’affaire de Pompidou dans cette banque, et pour glisser un peu d’antisémitisme au passage, bien sûr… Mais de Rothschild dans cette histoire, aucun.
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Ensuite, cette loi n’interdit pas à l’Etat d’emprunter à la Banque de France, elle en règle les modalités dans son article 19, en reprenant mot pour mot le texte de la loi précédente qu’elle remplace, et qui datait de 1936 !
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Contrairement à ce qui est souvent affirmé à ce propos, donc, cette loi ne constitue pas un tournant, puisque l’Etat a continué à emprunter à la banque de France jusqu’à l’époque Mitterrand. Tout comme l’Etat empruntait déjà au secteur privé avant 1973 (emprunt Pinay par exemple…)
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Il faut aussi se garder de l’anachronisme. En 1973, le marché des titres de créances était balbutiant en Europe, alors qu’arrivaient des USA des milliards de dollars « virtuels » issus d’un marché bien plus développé, qui s’investissaient en Europe et rachetaient nos actifs tangibles. Pour pouvoir répondre à cela, Pompidou, homme de droite, a décidé de stimuler ce marché en y faisant participer l’Etat. Le marché privé des titres de dette n’est donc pas « naturel ». Il est le résultat d’une décision politique, et a été suscité et développé par un Etat interventionniste.
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Après 1973, l’état a continué à emprunter à la banque de France, tout en empruntant aux banques privées. Le recours au marché n’est devenu majoritaire qu’en 1983.
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Aujourd’hui l’Etat ne peut emprunter directement à la banque de France. Il y a une logique à cela : en zone euro, l’augmentation de la masse monétaire doit être concertée. C’est pour cela que nous demandons depuis des années à ce que les états puissent emprunter directement à la BCE. L’interdiction formelle d’emprunter à une banque centrale nationale a donc été formulée pour la première fois dans l’article 104 du traité de Maastricht, qui lançait les bases de l’union monétaire. Puis elle a été renouvelée dans le texte du TCE, et confirmée avec le traité de Lisbonne.
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Concernant la mise en accusation des banques. Même si les banques profitent de la dette, ce ne sont généralement pas elles qui détiennent la dette publique. Les titres sont détenus par les assurances (assurances-vie principalement), par des fonds de pension (retraites par capitalisation internationaux, mais aussi nationaux comme le préfon retraite), et par des particuliers aisés.
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Pour info et au passage, si plus de la moitié de la dette de la France est détenue à l’étranger, il faut savoir qu’en regard les investisseurs français détiennent aussi de la dette étrangère, et que le solde, la « position nette de la France », reste en notre faveur.
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Depuis que l’endettement public vis-à-vis du secteur privé progresse, c’est à dire depuis le début des années 80, nous avons payé beaucoup d’intérêts, environ 2000 milliards. Et comme nous avons actuellement 2000 milliards de dettes, il est tentant de conclure que notre endettement serait nul si nous n’avions pas emprunté au secteur privé.
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Ce raisonnement est imparable, mais est-t-il utile ? L’endettement envers le privé est un fait, on ne refera pas l’histoire du XXème siècle. Par contre, nous construisons celle du XXIème, et la question sera bientôt de savoir comment nous allons nous défaire de cette dette, qui de toute façon ne sera jamais remboursée.
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D’où provient la dette ? Il aurait fallu réduire les déficits. Pour cela, il y a deux façons de faire : réduire les dépenses, ou augmenter les recettes. Durant quarante ans, on a réduit les dépenses. Aujourd’hui, nous avons un hôpital malade, une justice noyée, des prisons immondes… Et a-t-on augmenté les recettes ? Juste un exemple : si l’Etat avait lutté contre la fraude fiscale et sociale durant ces trente dernières années, la dette serait, là aussi, nulle.
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La dette peut donc être considérée comme de l’argent dont l’Etat a eu besoin, sans pour autant se donner les moyens de l’obtenir. Cette représentation de la dette colle tout particulièrement avec la séquence 2007-2012, où Nicolas Sarkozy a emprunté 700 milliards tout en baissant les impôts des plus riches. En fait, plutôt que de payer l’impôt, nos oligarques du Fouquet’s ont prêté à l’Etat contre rémunération !
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En conséquence, le second budget de l’Etat est le « service de la dette », c’est à dire le paiement des intérêts. Il s’élève à 50 milliards d’euro annuellement, c’est à dire une somme équivalente à ce que rapporte l’impôt sur le revenu (et en aucun cas l’ensemble des impôts et taxes comme le rapporte l’image présentée).
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Toutefois, il est à noter que si le service de la dette annule les recettes de l’impôt progressif, alors il ne reste plus en France qu’une « flat tax » pour financer les services de l’état : la TVA. L’impôt le plus injuste.
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Au final, bien sûr, les banques privées se frottent les mains. Mais la principale conséquence de l’endettement de l’état, c’est la création de fait d’un impôt négatif pour les grandes fortunes. Un droit pour les plus riches à préempter l’argent public, parce qu’ils ont prêté l’argent qu’ils auraient du céder au titre de l’impôt.
Rien à voir avec Rothschild, donc. Juste une histoire classique, où des puissants, de toutes confessions, s’arrangent pour profiter de l’argent des autres…
Vincent Grenier, le 2 octobre 2015