Damas Turf : toi aussi armes ton poulain

L’Europe, et plus largement ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident, semble changer de position quant à l’armement, ou non, de l’opposition syrienne. Le Monde titrait la semaine dernière : « Syrie : le début d’un revirement occidental« . On apprend depuis hier que la France incite ses partenaires européens à aller au-delà de la seule livraison d’équipement « non létal ».

François Hollande souhaite que l’Europe se prononce d’ici fin mai, date à laquelle l’embargo en cours sur la Syrie doit être abandonné ou renouvelé. Le Président français soulignait vendredi  que « le plus grand risque, ce serait de ne rien faire, de laisser faire […] Ce serait le chaos […] Le plus grand risque, c’est l’inaction ». L’inaction serait donc coupable, mais au-delà du timing de l’embargo en cours, quels sont les éléments qui ont incité la France à modifier sa stratégie en ce qui concerne la Syrie ?

L’opposition syrienne semble toujours aussi incapable à s’organiser, on ne parvient plus à compter les instances et les noms de leurs dirigeants, la plus récente étant un gouvernement intérimaire dont le chef, Ghassan Hito (aucun lien avec la famille régnante japonaise), a été « élu » hier parmi trois candidats dont deux sont issus de la diaspora syrienne aux États-Unis et le troisième issu des rangs du régime Assad… Et pourtant François Hollande souhaite armer l’opposition ! Le président français précise même qu’il souhaite armer le commandement commun de l’armée syrienne libre. Quand on connaît la mosaïque qui constitue ce que l’on appelle l’opposition syrienne, on peut douter de la possibilité d’identifier un groupe sûr, aujourd’hui et demain, que l’Europe puisse armer sans prendre le risque que les équipements et armements livrés ne tombent, aujourd’hui ou demain, entre les mains de groupes que l’Occident qualifie de terroriste, c’est-à-dire des groupes jihadistes à qui on peut depuis quelques mois donner un nom : Jabhat Al Nosra.

Le Monde assure le service après-vente du président français en  titrant : « Lance-pierre géant, mitrailleuse télécommandée, pistolet à ressort : l’arsenal improvisé des rebelles syriens » exagérant ainsi le recours à des armes folkloriques de fabrication locale. Il n’en reste pas moins vrai que Jabhat al Nosra est aujourd’hui la plus puissante des factions syriennes du fait de son organisation, de son endoctrinement et de ses sponsors du Golfe. Cette puissance militaire s’impose progressivement face aux autres factions sur les théâtres des opérations syriennes. L’Europe craint, à juste raison, que la domination militaire jihadiste se transforme, le moment venu, en une domination politique dans le cas où le régime Assad perdait Damas et se rabattait sur la zone côtière de Tartous à Lattaquié. Ainsi, si l’Europe ne livre pas d’armes à de potentiels alliés locaux, c’est le plus « puissant« , Jabhat al Nosra, des acteurs locaux qui occupera de fait le terrain et réclamera le butin, c’est-à-dire la reconnaissance du régime nouveau qu’il imposera.

Dans la guerre syrienne, désormais ouvertement confessionnelle, les factions qui constituent l’armée syrienne libre dans leurs différentes mouvances seront, dans le cas de la chute du régime à Damas, en conflit ouvert les unes contre les autres et aussi contre Jabhat al Nosra. L’Europe a donc intérêt à miser sur un cheval, en espérant qu’il soit digne de sa confiance et qu’il puisse tenir le choc de l’après-chute du régime Assad face aux autres factions armées par diverses puissances régionales ou internationales. Car si l’Europe livre des armes à ses « poulains », elle prend automatiquement le risque que ces équipements tombent dans les mains des jihadistes, par exemple, en cas d’échecs militaires des factions qu’elle soutient.

Au milieu de cette complexité sur le terrain, que faire, si ce n’est livrer des armes à ceux qu’on considère à ce stade comme les « gentils » et qui, au final, les utiliseront contre ceux qu’on considère comme « méchants » aujourd’hui identifié non seulement à Jabhat al Nosra, mais aussi aux milices pro-régime qu’il ne faut pas enterrer trop vite même en cas de chute du régime ?

Ne nous leurrons pas, si le régime tombe à Damas, il ne tombera pas ailleurs (zone côtière) et deviendra une milice parmi tant d’autres au regard du reste du monde. Et dans ce cas Damas sera l’enjeu de batailles féroces entre les différentes factions dont certaines seront armées par l’Europe (si François Hollande convainc ses partenaires fin mars), comme d’autres le sont déjà par les Turcs, les Qataris & les Saoudiens.

Comme d’habitude, la situation est bien plus « grise » que ce que nous présentent l’ambassadeur Chevalier ou l’ancien premier ministre Juppé ou les journaux télévisés. Évidemment la solution idéale n’existe pas, car entre la partition du pays une guerre civile qui s’élargirait avec affrontements internes de l’opposition ou encore l’instauration d’un régime salafiste, je ne sais ce que l’Europe préférerait et je n’ose imaginer ce que le peuple syrien souhaiterait… En attendant, un observateur jordanien, Amer al-Sabayleh, évoque à juste titre dans Al-Akhbar les trois piliers d’une éventuelle solution « interne » syrienne : l’armée syrienne, la bourgeoisie marchande des grandes villes et une gauche reconstruite.

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