Il y a quelques semaines, Julien Dray publiait un billet commentant le plan Ayrault pour la compétitivité et l’emploi. Il y appelait à une reconquête industrielle en soulevant « la question des filières à privilégier » entre autres composantes d’une politique industrielle qui reste à définir. La politique industrielle de l’ère Hollande n’est pas encore clairement établie. On peut se demander si, au-delà de l’intervention sur les innombrables incendies en cours, le ministère du redressement productif a commencé à établir une politique industrielle pour la France…
Depuis six mois, par la force des choses, le ministère de l’industrie joue au pompier : PSA, Sanofi et plus récemment Florange, sans oublier les commissaires (régionaux) au redressement productif. À aucun moment, ou alors j’ai raté quelque chose, je n’ai vu des mesures concrètes, ni même un discours, tendant à dessiner une politique industrielle qui aille au-delà de l’extincteur d’incendies. Tant qu’on n’a pas une stratégie, ça ne sert à rien de chercher à mettre en œuvre des outils, nationalisations ou autre levier de ce type, car ils manqueront systématiquement de cohérence et donc d’efficacité.
On a trouvé l’extincteur à incendies, mais on cherche toujours le plan de redressement !
Personnellement, je ne suis pas a priori contre les nationalisations (et apparemment le premier ministre nom plus) et j’applaudis l’appel des députés socialistes soutenant Arnaud Montebourg dans la négociation avec Lakshmi Mittal. Mais cet engouement est conditionné, à mes yeux, par le fait de savoir comment inscrire les nationalisations dans une stratégie plus globale : à quoi ça sert, combien de temps, quelles conditions d’entrée, quelles conditions de sortie, seul ou à plusieurs, quel management et quels managers, etc. Par exemple, si on avait nationalisé Florange, qu’est ce qu’on aurait fait à Saint-Nazaire ? Et surtout pourquoi l’aurait-on fait ? Pour sauvegarder 100-300-800 emplois ou pour maintenir en France une filière stratégique dans la compétition internationale (parce qu’il n’y a pas que le coût du travail , remember last month) ?… Bref c’est très bien d’avoir fait le bad cop dans une négo (même involontairement), mais maintenant le ministère du redressement productif va devoir nous sortir une politique industrielle, une vraie, pas une improvisée ! Une politique industrielle qui répond à la question du quinquennat, celle du redressement…
Le gouvernement, au travers du ministère d’Arnaud Montebourg, a le devoir de définir les filières nécessaires au redressement productif. Quelles sont les filières qui permettent aux pays d’être efficace dans la compétition européenne et dans celle internationale ? Et dans chacune de ces filières : peut-on / doit-on être présent tout le long de la filière ou seulement sur une partie ? Une fois les domaines stratégiques définis, quels leviers utilisés pour y améliorer notre position concurrentielle ? Parfois c’est la montée en gamme qui sera nécessaire, dans d’autres cas c’est l’innovation (produits, procédures) qui fera l’affaire, ou encore le développement de l’excellence par la qualité (oui, je sais : le modèle allemand encore, mais bon…).
L’asymétrie des balances des paiements en Europe prolonge celle de plus en plus poussée entre les pays qui ont conservé une base industrielle à fot potentiel d’exportation et les pays qui déversent leur main d’œuvre dans des services faiblement créateurs de valeur ou dans la construction. (J-L Levet et alt., Réindustrialisation j’écris ton nom, p. 35, Fondation Jean Jaurès, 2012)
Filières stratégiques et souveraineté économique
Au-delà de la simple question du rétablissement de notre balance commerciale et de notre balance des paiements par l’efficacité de nos secteurs stratégiques, il est nécessaire aussi de s’interroger sur le degré de souveraineté économique que nous souhaitons pour notre pays. La sidérurgie, par exemple, fait-elle partie des filières qui ont besoin d’être maintenues, voire développées, dans l’économie nationale ? À moins que ce ne soit désormais un domaine peu structurant dans les filières qu’il alimente pour être considéré comme nécessaire à notre souveraineté économique ? Qu’en est-il, a contrario, de la construction navale ou aéronautique ? Faut-il la rayer de la carte du fait du vide qui lui sert de bon de commande depuis quelques années ? Faut-il poursuivre les efforts commerciaux tout en cherchant à se diversifier ? Si on se diversifie comment cela s’inscrit-il dans la logique régionale ?
Car définir une politique industrielle ne s’appuie pas seulement sur un raisonnement économique et managérial, mais également sur l’orientation que l’on souhaite de se donner en termes d’aménagement du territoire et comment out cela s’inscrit-il dans la logique européenne (si tant est qu’il y en ait une). Mais au-dessus de tout, cette politique industrielle doit permettre de retrouver la croissance, créer des emplois en masse (et pas seulement pour des cadres et des ingénieurs) et garantit le financement de notre modèle social.
J’imagine qu’une armée (de préférence pas mexicaine) d’experts et de techniciens de la chose publique doit être capable de faire tourner la machine du data crunching pour nous sortir des slides permettant aux ministres concernés de statuer. Idéalement ce travail devrait se faire avec l’aide des régions souvent plus proches des entreprises que l’administration centrale. Cette synergie devrait permettre d’établir la liste des secteurs stratégiques où nous devons être les champions en s’appuyant sur tel et tel modalités, dans telles ou telles régions avec tels ou tels financements (y compris européens, coucou les 120 milliards d’€ du pacte de croissance…).
Sans la réponse à ces questions, il sera difficile pour la Banque publique d’investissement de faire des choix politiques et non seulement techniques. Or il ne faut pas oublier que la BPI est l’un des leviers majeurs de la politique économique promise par le candidat Hollande. Ainsi, si on laisse la BPI sans orientations politiques basées sur les réponses aux questions ci-dessus, on n’aura qu’un instrument technique qui ne répondra pas aux ambitions du candidat, ces mêmes ambitions qui l’ont transformé en président en nous incitant à voter pour lui.
Un état stratège saura définir, dans une vision de long terme, ses domaines d’actions privilégiés, réorienter l’épargne nationale vers ces domaines, inciter fiscalement les entreprises à s’orienter vers l’emploi et l’investissement sans oublier d’inscrire tout cela dans une complémentarité européenne. Cette Europe dont la réorientation se fait attendre et qui aurait pourtant besoin d’établir des règles internes et externes s’appuyant sur une réciprocité réelle : l’angélisme bruxellois, cela ne marche pas dans une guerre économique, il faut se donner les moyens d’être défensif avec ceux qui ne jouent pas le jeu et depuis le temps j’imagine qu’on les connaît bien !
Ne pas marginaliser la majorité de notre peuple
Je suis sûr que les techniciens et décideurs du ministère de redressement productif n’oublieront pas dans leurs réflexions et plans d’actions l’exemple allemand y compris dans les facettes néfastes de son modèle qu’on a tendance à trop louer sans esprit critique :
L’Allemagne a « externalisé » certaines phases intermédiaires de production et exercé une pression à la baisse des salaires, mais maintenu chez elle la phase finale d’assemblage et les segments de fabrication sophistiquée (à forte valeur ajoutée). (Levet, p. 38)
Il faudra donc éviter de tomber dans un modèle où seuls les plus diplômés trouvent une place (plus ou moins bien payés selon le secteur) laissant sur le bord de la route les moins chanceux, les moins diplômés ou ceux qui n’ont pas les compétences les plus adéquates. Une politique industrielle se concentrant sur les industries peu consommatrices de main d’œuvre serait une erreur, car elle laisserait à la marge la majorité de nos concitoyens qui ne sont pas des experts en nanotechnologie ou des développeurs software de haut vol. Une économie française à la pointe des nouvelles technologies peut très bien payer ses ingénieurs et ses managers, mais que ferait-elle des masses populaires peu concernées par ses secteurs de pointe ? Elle serait obligée de taxer ceux-ci pour redistribuer à ceux-là ce qui serait mal sain. En amont de de la politique industrielle, la formation professionnelle nécessite d’être réorientée et rendue plus efficace (coucou l’AFPA) pour mieux répondre aux contraintes et surtout aux opportunités industrielles. Sur cet aspect, le modèle scandinave est difficile à critiquer. Sans cette cohérence entre formation professionnelle et politique industrielle nos compatriotes les moins bien armés à la sortie de leur formation initiale (et, eux aussi, malheureusement, sont légions) seraient condamnés à rester à la marge d’une économie productive qu’on espère compte bien voir redressée avant la fin du quinquennat.