[initialement publié dans Medium France]
Ce n’est sûrement pas son hypothétique méconnaissance de l’entreprise qu’on peut reprocher à Myriam El Khomri car c’est un point commun à la quasi-totalité de la classe politique. Le cas de François Fillon est similaire et n’avait pourtant pas ému les commentateurs et les militants de droite. L’ancien premier ministre a été aussi ministre du travail entre 2002 et 2004 et n’a pourtant pas d’expérience de l’entreprise si l’on en croit son CV sur Wikipedia. Et il y a pléthore d’autres cas à gauche et à droite. Il y en a tellement qu’il serait plus simple d’inverser le problème. On compterait alors les femmes et hommes politiques français qui ont eu une expérience du monde du travail, et plus spécifiquement de l’entreprise, c’est-à-dire dans le secteur privé, comme la majorité de nos concitoyens.
La solution de ce problème généralisé est coûteuse et culturelle, par conséquent difficile à mettre en place…
Qui est aujourd’hui capable de mener de front un job à plein temps et un mandat d’élu local par exemple ? Quel type de job permet d’être à mi-temps ou même aux trois cinquièmes pour libérer du temps pour un mandat électif ? Quel est l’employeur qui autoriserait son salarié à libérer suffisamment de temps pour mener, dans de bonnes conditions, une activité politique ? Il est évident que les réponses à ces questions excluent de fait les employés du secteur privé, disons par exemple un comptable dans une PME, pour ne pas prendre des cas extrêmes – le PDG ou l’ouvrier. Et en admettant que notre comptable parvienne à militer suffisamment pour être remarqué et pour obtenir ensuite l’investiture de son parti. En admettant aussi qu’il puisse mener campagne en maintenant son job et en tirant profit des congés payés et des journées de RTT. En admettant enfin qu’il obtienne la confiance des électeurs après avoir obtenu celle de son parti. Saura-t-il gérer son temps de travail en parallèle au temps nécessaire pour mener à bien son mandat ? J’en doute… Et je pense même qu’il sera tenté de démissionner de son emploi et de ne vivre que de la politique – même si je ne vois pas vraiment comment cela serait possible dans une partie des collectivités dont les indemnités des élus sont inférieures au SMIC.
A partir de là on voit clairement que ne peuvent devenir candidats dans de bonnes conditions que des « professionnels de la profession » – les collaborateurs d’élus. Ou encore les fonctionnaires dont l’employeur facilite les temps partiels. Ou enfin les professions libérales – avocats, médecins ou experts comptables par exemple – qui peuvent faire le choix de réduire la voilure de leur activité le temps d’un mandat. Sans compter que les professions libérales, les fonctionnaires ou les collaborateurs d’élus peuvent, plus facilement que le reste de la population active, reprendre une activité normale si leur mandat se conclut par un échec électoral ou par la volonté de ne pas renouveler l’expérience. Mais notre comptable de PME évoqué ci-dessus, lui, n’aura pas le loisir de retrouver un emploi équivalent à ce qu’il a quitté parce que son employeur potentiel a de fortes chances de considérer qu’il a « perdu la main » durant son mandat. Sans parler de ce qui ne viendra jamais à horizon visible : une éventuelle valorisation de l’expérience acquise en tant qu’élu de la République.
Par ailleurs, une deuxième difficulté existe : qui est aujourd’hui capable de passer d’un mandat d’élu local à un rôle politique national de premier plan en ayant un job à plein temps et sans être dans les petits papiers de grands marabouts façon Minc ou Attali ? Et je ne parle même pas de passer du statut d’ « inconnu au bataillon » au statut de politique de premier plan comme cela peut être le cas dans certaines démocraties ! A part le Front national pour des raisons très spécifiques à l’évolution du parti d’extrême droite français, aucun autre parti ne parvient à réaliser de telles expériences qui, pourtant, apporteraient un peu de renouveau dans un cadre partisan qui s’avère souvent être un haut lieu de conservatismes, de gauche ou de droite !
Il est donc nécessaire de très vite mettre en place, au sein des partis politiques, les mesures permettant de créer les conditions d’une bien plus grande ouverture sur la société. Guillaume Liegey évoque quelques pistes très intéressantes dans un récent papier. Il y souligne l’importance d’établir un quota – il propose 25% – de candidats éligibles à tous les échelons de la vie démocratique et qui ne soient pas issus des rangs des partis mais qui soient néanmoins formés pour gagner. Il recommande également que les militants passent une très grande partie de leur temps – il propose 70% – en dehors des murs de leurs partis y compris – surtout – en dehors des périodes électorales.
Il est tout aussi nécessaire d’instaurer un statut de l’élu qui soit digne de ce nom. Et ce statut me semble être une condition sine qua non pour la réussite de l’ouverture que j’évoquais ci-dessus. En effet, le statut de l’élu facilite non seulement l’accès à l’investiture et donc l’accès au mandat mais aussi l’accès à des modalités de valorisation de l’expérience élective. Les indemnités des élus mériteraient des méthodes de valorisation qui soient identiques dans leurs modalités de calculs où que l’on soit sur le territoire de la République en prenant en compte l’importance relative du mandat (taille de la collectivité). Cela évitera les « bidouilles » populistes tendant à réduire, pour « faire jolie », des indemnités parfois déjà assez faibles. La fin de mandat mérite d’être soutenue aussi y compris financièrement par le financement de formation ou d’accompagnement par des spécialistes de l’outplacement.
Sans la mise en place de telles modalités nouvelles, la démocratie est littéralement en danger. Les politiques doivent très vite mettre en place les conditions permettant à la classe politique de se diversifier et de rester connectée au monde réel. Et elle a besoin de se diversifier non pas tant sur la base de facteurs qu’on ne choisit pas (le genre, l’origine des parents ou des grands-parents, etc.), mais sur la base de ce qu’on choisit, du parcours de vie, de l’expérience professionnelle, etc. Elle a aussi besoin de prendre au sérieux la démocratie participative, non pas pour que les politiques esquivent leurs responsabilités en se cachant derrière la participation civique, mais pour maintenir un rapport direct avec le peuple, en particulier lorsque les politiques sont “issus du sérail” ou qu’ils n’ont travaillé que dans ce domaine. Les décideurs et les territoires qui ne mettront pas cela en place continueront à se ressembler tous et à fonctionner en circuit fermé. Ils continueront à ne pas être innovants. Ils continueront à se laisser guider par une haute administration qui a tendance à être réticente au changement et donc à l’innovation.
`Or nous faisons face à des problèmes de plus en plus nouveaux. Nous faisons aussi face à des problèmes de plus en plus complexes. Et ne parlons pas de la concurrence tous azimuts à l’intérieur et à l’extérieur des frontières nationales. Face à tous ces défis, il est nécessaire d’innover, de trouver de nouvelles réponses à toutes ces questions qu’elles soient nouvelles ou plus anciennes. C’est le seul moyen d’augmenter ses chances de réussite quelque soit le domaine concerné. Et à Nantes, je suis convaincu que nous parvenons à aborder dans de bonnes conditions ces problèmes nouveaux et complexes du fait du volontarisme du maire. Et aussi parce que la diversité des parcours dans l’équipe dont elle s’est entourée permet de mettre l’innovation au service du volontarisme politique.