Le Liban est un état-tampon qui est, par définition, très sensible aux mouvements de la tectonique géopolitique sur laquelle il est situé. Créé en 1920 sur une partie des ruines de l’Empire ottoman , le Liban offre un concentré de tout ce qui se fait au Proche Orient en termes de diversités religieuses. En effet on y trouve dix-huit confessions religieuses, et donc autant de communautés dont le rôle est souvent bien plus politique que mystique. Et elles y cohabitent, selon les époques, en plus ou moins bonne entente. On y trouve des musulmans (sunnites, chiites, druzes) ainsi que des chrétiens de toutes sortes (différentes catégories d’orthodoxes, différentes communautés catholiques ainsi que des protestants, etc.) et des juifs. Leur cohabitation y est tellement délicate que personne n’a jamais osé un recensement officiel depuis les années 1920 de crainte que les résultats n’altèrent le fragile équilibre du pouvoir politique fondé sur un régime communautaire. Dans ce régime communautaire, entre l’indépendance en 1943, et le début de la guerre de 1975-1990, le pouvoir est tenu par les chrétiens maronites. Il sera ensuite tenu, à partir de 1990, principalement par les musulmans sunnites.
Etendu sur un territoire à peine plus grand que la Corse, le Liban est un pays riche en diversité de toutes sortes : les paysages et le climat varient selon que l’on soit sur la côte méditerranéenne, sur les sommets du Mont-Liban ou dans la plaine de la Bekaa. Cette diversité des communautés composant le « tissu » libanais induit une certaine ouverture d’esprit qu’on peut constater auprès d’une large majorité des Libanais. Elle crée aussi une richesse culturelle particulièrement perceptible par l’observateur externe qui n’est pas habitué à autant de différences sur un territoire aussi restreint.
Mais cette mosaïque communautaire est aussi source d’instabilités. Les événements de 1975-1990 font écho à ceux de 1840-1860 où les affrontements entre musulmans et chrétiens tournent vite aux massacres avec leurs lots de victimes civiles des deux bords et de plaies béantes difficiles à cicatriser. La guerre de 1975-1990 avait, en plus, une dimension politique forte liée à un déséquilibre entre le poids relatif des communautés dans l’exercice du pouvoir central. Même la dimension géopolitique de cette guerre (rôles des Palestiniens de l’OLP, rôle des Israéliens et surtout rôle des Syriens) s’appuyait sur le socle communautaire.
Sans vouloir alourdir inutilement ce témoignage, notons simplement une chose : du fait du régime communautaire de partage des pouvoirs, l’état central n’a jamais su s’imposer au Liban, laissant ainsi libre cours aux jeux des différentes communautés confessionnelles dans tous les aspects de la vie publique et privée. L’historien, économiste et ancien ministre libanais Georges Corm résume très bien cet état de fait (Afkar n°41, mars 2014) :
Le régime communautaire a […] démontré combien, non seulement il consacre la surenchère communautaire et développe artificiellement le fanatisme religieux, mais encourage de plus la corruption des notables à qui il n’est pas possible de faire rendre des comptes sur leur gestion en tant que hauts responsables de l’État, sous peine de susciter des troubles communautaires.
La république constitue un espace privilégié de réalisation du bien commun.
Historiquement, la laïcité « à la française » prend forme au travers de la loi de séparation des églises et de l’Etat. Ce principe fondateur de la République a permis que se développe sereinement dans notre pays (1) la liberté de conscience et (2) le libre exercice des cultes tous deux voulus par la loi de 1905.Philosophiquement, Catherine Kintzler (Penser la laïcité, Minerve, 2013) réduit la laïcité à trois propositions garantissant la liberté religieuse, mais aussi, et plus largement, la liberté de conscience :
1- Personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre
2- Personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’aucune
3- Personne n’est tenu de n’avoir aucune religion
Et Kintzler de préciser : « Chacune de ces propositions énonce une liberté et écarte une contrainte émanant de la confusion entre pouvoir politique et pouvoir religieux ». L’ensemble des trois propositions offre les garanties nécessaires à une vie commune pacifique, élargissant, de manière très moderne, la liberté religieuse (ceux qui croient, quelle que soit leur foi) à la liberté de conscience (ceux qui croient et ceux qui ne croient pas). On remarquera au passage que cette vie commune pacifique est rompue à chaque fois qu’il y a confusion entre pouvoir politique et autorité religieuse, à chaque fois que la neutralité de l’Etat est rompue.