Le week-end du 19 juillet 2014, les nouvelles de la région de Mossoul en Irak rapportaient une opération de « purification » lancée par ce qui s’appelait précédemment l’Etat islamique en Irak et au Levant (de son acronyme : EIIL en français et ISIS en anglais). Cette organisation, autoproclamée Califat au début du Ramadan, demandait aux chrétiens habitant Mossoul de quitter la ville à moins d’accepter de se convertir ou de payer la taxe traditionnelle des non-croyants… Une semaine après cette opération, la France, par le biais d’un communiqué de presse de messieurs Cazeneuve et Fabius, annonce qu’elle « prête à favoriser l’accueil » de ces populations sur son sol « au titre de l’asile ». Cette option est-elle efficace, pour la France et surtout pour les chrétiens d’Irak et plus généralement d’Orient ?
Inutile de rappeler ici et à nouveau le mot de de Gaulle sur « l’orient compliqué » même si elle est d’autant plus vraie lorsqu’il s’agit des chrétiens d’Orient. Le public européen connaît un peu le Liban et la Syrie, notamment leurs composantes chrétiennes, mais il connaît moins, voire pas, la communauté chrétienne du peuple irakien dans la mesure où ils sont moins nombreux et joue un rôle limité dans l’histoire récente du pays qui, lui-même, nous est moins connu. Pour mieux connaître les chrétiens irakiens, Rue 89 propose la liste des 10 éléments notables dans l’histoire et le rôle de cette communauté.
D’un embryon d’état laïque à une désintégration communautariste
On notera en particulier que parmi les pays arabes, l’Irak a un certain poids du fait de son histoire récente. Pendant longtemps le Baath au pouvoir a essayé d’établir un semblant de laïcité qui a permis aux chrétiens de vivre relativement sereinement au sein d’une nation qui se croyait unie à jamais. Mais la première crise irakienne de 1990-1991, avec un Saddam Hussein rajoutant Allahou Akbar sur le drapeau national, constitue le début d’un changement de politique et la guerre qui suit la chute du dictateur marquera un réel tournant pour le peuple irakien qui progressivement perdra son unité pour céder sa place à des groupes ethniques ou religieux.
Dans un contexte de repli identitaire, l’Irak se désagrège :
- les chiites deviennent d’abord chiites avant d’être Irakiens ou même Arabes aidés en cela par les Iraniens, leurs frères dans la foi
- les sunnites, vaincus au travers de la chute du dictateur et par le biais d’un pouvoir central où les chiites ne leur laissent aucun poids politique, se retrouvent coincés entre les anciens baathistes et le nouvel acteur, d’abord Al Qaïda en Irak puis l’Etat islamique qui progressivement occupe l’espace symbolique, militaire et pour finir territorial
- les Kurdes saisissent une opportunité inégalée dans toute leur histoire, ils instaurent un état quasi-autonome et tout à fait viable géographiquement et économiquement
- les chrétiens, très minoritaires en nombre, sans appui politique dans la région, se retrouvent quant à eux coincés entre les trois autres blocs composant un Irak fédéral que la puissance grandissante de l’Etat islamique menace de faire disparaître dans les prochains mois
La wilayat de Ninive
Mossoul est la ville principale de l’ancienne province de Ninive. Elle a été conquise il y a deux semaines par l’Etat islamique d’Abu Bakr Al Baghdadi désormais connu sous le nom de Calife Ibrahim puisqu’il proclama le rétablissement du Califat islamique déroulant ainsi un parfait plan marketing allant de la destruction symbolique de la frontière entre Irak et Syrie issue des accords Sykes-Picot, en passant par la prise de Mossoul avec son importance symbolique, géostratégique et économique et enfin jusqu’à la déclaration de la restauration du Califat et l’ « apparition » tout de noir vêtu du nouveau Claife prêchant dans la mosquée principale de la ville nouvellement conquise.
L’ancienne province de Ninive est la région principale où résident les chrétiens irakiens. Cette région est importante dans l’histoire du christianisme, car c’est ici que se constitua l’Eglise dite « nestorienne », la première église séparée à la fois de Rome et de Constantinople. Ce christianisme oriental qu’on peut qualifier d’assyrien ou de chaldéen ou encore de syrien oriental, a un patrimoine spirituel et littéraire d’une importance majeure dans l’Orthodoxie et, dans une moindre mesure, dans le christianisme occidental. Isaac le Syrien est un père de l’Eglise dont les écrits alimentent encore aujourd’hui la vie monastique en Orient et en Occident.
Les jours précédents le 19 juillet, les militants du nouveau Califat ont proposé quatre options aux chrétiens de Mossoul :
- se convertir
- payer la taxe des dhimmis
- quitter la région
- être tués
Naturellement, la région s’est très vite vidée de ses habitants de confessions chrétiennes.
Que peut faire l’Europe ?
Pour montrer qu’elle n’a « pas l’indignation sélective », Paris, par la voix des ministres de l’intérieur et des affaires étrangères, propose d’accueillir des chrétiens d’Irak sur son territoire. Mais le problème c’est que les takfiris de l’Etat islamiques sont plus dures encore lorsqu’il s’agit des Irakiens chiites (Rafedah) que des irakiens chrétiens. Donc l’indignation qu’on a voulue non-sélective se révèle malheureusement comme l’étant quand même :
- Les takfiris utilisent la lettre N (ن) comme « nassarah« (nazaréens), l’autre façon d’appeler les chrétiens dans le monde arabe, pour signaler les résidences d’Irakiens chrétiens qu’elle met sous tutelle de l’agence immobilière (sic) de l’Etat islamique
- Les mêmes jihadistes utilisent pour les mêmes fins la lettre R (ر) comme « rafedah« , ceux qui refusent (refuser, « rafd ») le califat sunnite pour suivre le califat chiite d’Ali, ce qui signifie que les chiites sont eux aussi persécutés, mais sans relai dans les médias occidentaux peut être parce qu’ils sont moins nombreux dans cette ville
Mais au-delà de l’anecdote sur l’usage des lettres par les agents immobiliers de l’Etat islamique, un peu comme les nazis utilisaient le bouclier de David pour stigmatiser les juifs d’Europe, le soutien que peut apporter l’Europe aux Irakiens chrétiens est une question délicate. En effet, les extrémistes musulmans, de longue date, ont tendance à considérer les Arabes chrétiens comme des « pièces rapportées », rapportés par les croisés en l’occurrence. L’aide occidentale explicite et spécifique aux Arabes chrétiens apporte de l’eau au moulin de cette aberration historiographique. Il faut donc éviter d’alourdir leur barque qui est déjà bien handicapée par leur faible nombre et leur poids négligeable sur la scène politique irakienne en particulier.
Je ne vois qu’une seule solution au problème des Irakiens en général et des chrétiens en particulier et cela s’applique à chaque état où plusieurs communautés co-existent où tentent de co-exister. L’éducation du plus grand nombre, couplée à une économie florissante évitent que les masses tombent dans le jeu des extrémistes, dans le cas présent les takfiris. Cela ne peut se faire qu’au travers d’une démocratisation progressive qui est elle-même impossible sans sécularisation de la société. Je ne suis pas partisan du state-building à la façon des néo-conservateurs de tous poils : on sait comment ont commencé les malheurs contemporains de l’Irak ! Les Etats-Unis, en laissant libre, et même en soutenant, le régime de Maliki ont consciemment ou non mené l’Irak sur la voie d’un chiisme autoritaire jetant les masses sunnites dans les bras des takfiris. Un soutien raisonné et discret à des coalitions laïques (ou du moins multi-confessionnels) auraient été bien plus utiles à la fois aux Etats-Unis et à l’Iran. Malheureusement cela n’a pas été le cas dans les dernières années, si on ne suit pas cette piste, il n’y aura aucune chance que l’Irak s’en sorte en restant uni et on se dirige directement vers la partition de ce pays en trois zones. Les chrétiens y disposeraient éventuellement d’une quatrième zone, d’un confetti en somme, ou bénéficieraient plus probablement d’une intégration dans les zones kurdes et chiites résultant de cette possible partition.
[Edit du 6 août 2014] C’est maintenant au tour des Yézidis d’être soumis au takfir. Les militants du pseudo-califat de l’Etat islamique ont conquis Sinjar chassant les Yézidis (kurdes, non musulmans) de la région de Sinjar et de sa région comme le détaille l’excellent revue en ligne Orient XXI.
2 commentaires sur “A propos des populations persécutées en Irak et ailleurs”