Nous sommes presque à mi-chemin entre la date de début du mandat de François Hollande entamé en mai 2012 et sa date de fin. L’élection présidentielle de 2017 est encore loin, mais le quinquennat est ainsi fait qu’à peine entame-t-on sa deuxième moitié, les commentateurs parlent déjà du mandat suivant. Un sondage de l’Ifop pour Marianne sort en cette fin de semaine et donne Marine Le Pen première devançant Nicolas Sarkozy et laissant le candidat de la gauche en troisième position. Quelles leçons peut-on tirer d’une telle enquête à plus de deux ans et demi du scrutin ?
Un sondage, surtout lorsqu’on est aussi éloigné de l’échéance électorale, sert surtout d’image instantanée de l’état de l’opinion à la date d’aujourd’hui (et qu’il faudrait compléter en en retraçant l’évolution et en la comparant à d’autres enquêtes similaires). Naturellement, il n’a pas pour objet de prédire qui va gagner en mai 2017, mais il serait erroné d’en déconsidérer les résultats pour autant. L’état de l’opinion tel qu’il est constaté en juillet 2014 doit avoir un impact sur les actions d’aujourd’hui qui alimenteront, dans moins de 3 ans, à une campagne que la gauche peut encore gagner.
Lame de fond populiste…
Le Front national de Marine Le Pen est arrivé premier aux élections européennes (24,86%) et ce n’était pas uniquement par refus de l’Europe : une lame de fond est désormais visible, scrutin après scrutin, plaçant le Front national de Marine Le Pen bien au-delà des scores qu’atteignaient le parti populiste durant le règne de son père. Il n’est donc pas étonnant que cette lame de fond se confirme dans une photo instantanée de l’état de l’opinion quelques mois après le scrutin européen : évoluant entre 26 et 27% selon le candidat socialiste (François Hollande, Manuel Valls, Arnaud Montebourg).
Sarkozy, étonnant bon résultat pour le seul candidat UMP testé !
La vraie surprise nous vient plutôt du score du candidat de l’UMP. Nicolas Sarkozy, seul candidat testé dans ce sondage, est à 25% d’intentions de vote, à peine un point derrière Marine Le Pen (et bien mieux que les résultats de l’UMP aux Européennes : 20,81%) ! On peut interroger le sérieux d’un sondage qui ne teste pas d’autres candidats UMP que l’ancien président de la République. Cela aurait permis de savoir ce que serait le résultat de la gauche face à d’autres candidats UMP, tels François Fillon ou Alain Juppé. Cela aurait aussi pu permettre de connaître le résultat relatif des candidats UMP alternatif en comparaison avec ceux de Nicolas Sarkozy. La comparaison eut été intéressante aux vues des difficultés judiciaires auxquelles fait face Nicolas Sarkozy, difficultés qui le mettent potentiellement dans l’incapacité de se présenter. Il est enfin probable que le bon score de Nicolas Sarkozy dans cette enquête soit justement dû au fait qu’il est le seul nom testé : cela conforte, implicitement, son rôle de chef incontesté dans l’esprit des personnes sondées !
Bayrou, valeur refuge…
Comment expliquer le résultat du MODEM (13% dans l’hypothèse Hollande, 12% dans l’hypothèse Valls et 16% dans l’hypothèse Montebourg et en tout cas bien mieux que le résultat des Européennes : 9,94%) ? Le report des voix « hollandaise » de 2012 vers l’homme du centre dans cette enquête est une première réponse à peu près satisfaisante. Ces anciens électeurs socialistes se reconnaissent désormais, en vue de 2017, dans la figure du centre centriste. En effet, Bayrou qui vient du centre droit (UDF) s’est installé dans l’espace étroit du centre réellement centriste durant une décennie. Ses échecs électoraux successifs l’ont ramené ces derniers mois vers le centre droit dont il est issu. La création d’une (éphémère?) Alternative rapprochant UDI et Modem semble avoir fait long feu en tout cas, ce rapprochement n’a pas encore donné d’effet dans l’opinion. On relativisera néanmoins ce commentaire par l’absence de candidat formellement étiqueté de centre droit dans l’enquête de l’Ifop.
La gauche dans l’impasse ?
Que fera la gauche avec, d’une part, un Valls et un Hollande dont les résultats seraient à peu près équivalent et les plaçant en troisième position et, d’autre part, un Montebourg qui serait devancé non seulement par Bayrou, mais aussi par Mélenchon. Elle pourra commencer par se dire qu’elle est dans une impasse :
- Hollande et Valls peuvent se sentir conforter dans leurs politiques, car les intentions de vote pour Bayrou peuvent être assimilées à des électeurs qui seraient d’accord avec la politique dite « de l’offre » qui caractérise le quinquennat Hollande jusque-là, et pourtant le résultat est là, les intentions de vote vont chez Bayrou et on voit mal ce qui les ramènerait vers le candidat de centre gauche
- Montebourg personnifie un horizon explicitement à gauche depuis la primaire citoyenne de 2011 et il continue à représenter cette tendance du Parti socialiste tout en étant un pilier d’un gouvernement appliquant pourtant une politique à coloration libérale, et pourtant ce positionnement à la gauche du gouvernement ne lui apporte aucun bénéfice bien au contraire, sa position n’a pas (encore?) convaincu l’échantillon sondé dans cette enquête
- Le Front de gauche améliore sa situation depuis le scrutin européen (entre 10 et 11% contre 6,6%) probablement du fait de la personne de son représentant théorique au scrutin de 2017, mais on voit bien que quoiqu’il advienne Mélenchon ne parvient pas à décoller même dans les scrutins très personnalisés qu’il a pu mener (notamment contre Le Pen)
- La dernière composante de la gauche, EELV, est quant à elle quasiment dans la même situation qu’en 2012 avec une Cécile Duflot variant entre 3 et 4% (EELV a fait 8,95% aux Européennes), bénéficiant peut être, notamment en tant qu’ancienne ministre, d’un peu plus de notoriété ou de sympathie que la candidate verte de 2012, mais on voit bien qu’on ne va pas loin avec ce niveau d’intentions de vote
Confiance : la cohérence entre paroles et actes
On pourra dire autant que l’on veut que la crise économique plombe la capacité du gouvernement à mener à bien la politique sur la base de laquelle il a été élu. On restera alors coincer dans un économicisme aveugle faisant du taux de chômage et donc du taux de croissance l’alpha et l’oméga des politiques publiques. Oui, certes, l’emploi est un enjeu majeur pour nos concitoyens. Mais ce n’est pas le seul et un sondage précis l’a très bien montré suite aux élections européennes d’avril dernier. J’ai essayé de montrer dans un précédent billet que la confiance est rompue entre d’une part les hommes et les femmes politiques de l’échelon national et d’autre part les citoyens qui sont leurs électeurs.
La clef de l’élection de 2017, dont le sondage de l’Ifop pour Marianne ne prétend pas prédire les résultats, est dans ce phénomène de méfiance entre électeurs et élus nationaux ! Parmi les éléments qui peuvent rétablir la confiance, je pense que la conformité des paroles et des actes est un facteur majeur. On peut chercher par tous les moyens à rétablir les comptes publics comme on l’avait annoncé durant la primaire et durant la campagne présidentielle. On peut se lancer dans cette direction, mais on ne peut pas le faire en mettant de côté le reste des engagements pris, je pense à des choses dites explicitement durant la campagne comme la réforme fiscale ou la réforme bancaire. On ne peut pas dire qu’on fait une politique de gauche en nommant un secrétaire général d’un palais de l’Elysée à gauche qui a été ministre de Nicolas Sarkozy, président de droite. La cohérence entre parole et acte est brouillée par des actes symboliques comme ceux-ci.
La confiance c’est la conviction qu’un sujet est apte à accomplir une action. S’il ne met pas en action ce qu’on est convaincu qu’il accomplira alors le sujet trahit la confiance. La planche de salut de la gauche reste le rétablissement de la confiance entre elle et ses électeurs au travers de la mise en action de ces idées et discours qui ont fait la campagne de 2012. Il reste la moitié du mandat pour accomplir ce qui a été dit !