Le mot « réforme » est en train de devenir une sorte de leitmotiv de la vie politique française. On a le sentiment que tout est tellement « coincé » qu’il faut « bouger », bouger à tout prix, bouger dans n’importe quel sens à condition de créer du mouvement et montrer qu’on va à l’encontre du statu quo. La gauche comme la droite use de ce même terme souvent sans en expliciter le contenu. Or le mot réforme n’est que le contenant alors que c’est le contenu de la réforme qui compte pour en évaluer l’utilité collective. Mais on est tellement, tous – acteurs, intermédiaires et spectateurs, dans le souci de la communication qu’il nous faut des mots qui « claquent » pour que le message que l’on porte émerge de ce flot informationnel incessant.
L’annonce du Premier ministre
Prenons l’exemple de la réforme territoriale qui a fait le buzz la semaine dernière. Particulièrement mise en avant dans la déclaration de politique générale du Premier ministre, M. Valls, elle devait faire partie des éléments de réponses aux attentes exprimées par les électeurs lors des municipales du 30 mars dernier.
Manuel Valls inscrit cette évolution de l’architecture administrative de la République dans le cadre des « réformes de structures » censées augmenter l’indépendance financière de la France au travers de la réduction de ses déficits publics. Il la décline en quatre axes :
- les régions dont il souhaite réduire le nombre de moitié, échéance 1er janvier 2017
- l’intercommunalité qu’il faut restructurer autour du bassin de vie, échéance 1er janvier 2018
- la suppression de la clause de compétence générale délimitant ainsi nettement le rôle de chaque collectivité territoriale, pas de d’échéance spécifique
- suppression des conseils départementaux, horizon 2021
Ce big bang territorial progressif qu’annonçait M. Valls au lendemain de l’échec socialiste aux municipales était déjà dans l’air du temps depuis 2012. L’agglomération de Lyon et le département du Rhône avaient déjà, en décembre 2012, annonçait la couleur : le Rhône cédant ses prérogatives au Grand Lyon sur une partie du territoire rhodanien. L’annonce de M. Valls semblait donc être une accélération du rythme, mais ce n’était qu’un début…
L’annonce du Président de la République
… En effet, le cataclysme que furent les résultats des élections européennes du 25 mai 2014 a donné lieu à une annonce du Président Hollande expliquant que les réformes étaient à faire pour le bien de la France et non pour le bon plaisir de Bruxelles. M. Hollande y annonce une accélération du calendrier puisqu’il déclare ce soir-là que « la simplification, la modernisation [sont] tout l’enjeu de la réforme de notre organisation territoriale, de grandes régions, avec une évolution de nos collectivités et ce sera présenté dès la semaine prochaine« .
Dans la panique du moment, le Front national arrivant en premier dans une élection « défouloir » au scrutin proportionnel, le Président a estimé qu’il fallait appuyer sur l’accélérateur. Ce sera donc en une semaine que les grandes lignes de la réforme territoriale seraient bouclées. Malheureusement, on n’en retiendra qu’une question de découpage territoriale comme si seule la frontière de chaque territoire comptait ! On peut imaginer l’effet que cette impression de « partage du gâteau » a pu laisser sur les citoyens.
En tous cas, le Président tiendra parole : une semaine après les catastrophiques élections européennes, M. Hollande annonce dans la presse quotidienne « la nouvelle carte des régions ». Le calamiteux après-midi qui précéda cette annonce restera dans les annales de ce quinquennat. Peut être même que les enseignants en communication politique en feront une étude de cas la prenant comme contre-exemple parfait de ce qu’il faut faire en pareil situation.
Le contenant et le contenu
Mais qu’en est-il sur le fond ? On apprend dans le texte de M. Hollande qu’il part du constat que « notre organisation territoriale a vieilli et que les strates se sont accumulées ». Il s’agit pour lui de prendre en compte l’effacement des « limites administratives » du fait des mutations économiques, des moyens de communications et des modes de vie différents . Il souhaite aussi prendre en compte « les inquiétudes des citoyens qui vivent à l’écart des centres les plus dynamiques ». Il tire de ce constat une décision majeure : redessiner la carte en établissant 14 régions au lieu de 22, et sa conséquence : la disparition du conseil général à horizon 2020. On n’oubliera pas non plus une décision minorée à ce stade par l’absence d’échéancier : l’intercommunalité sera développée à un horizon qui reste à déterminer.
La fusion de certaines régions est expliquée ainsi : « Elles seront […] de taille européenne et capables de bâtir des stratégies territoriales. » Mais nulle explication plus détaillée sur ce que sont les tenants et aboutissants de l’exigence européenne ! Guère mieux en ce qui concerne les stratégies territoriales ! Mais cette absence de développements n’est pas étonnante, car à aucun moment dans le texte du Président de la République il n’y a d’orientations claires sur l’objectif de cette collectivité territoriale. Dans ce que décrit le Président, on n’apprend rien de neuf sur le rôle des régions si ce n’est qu’elles récupèrent, logiquement, une grande partie de ce que faisait «feu» le conseil général :
« Demain, ces grandes régions auront davantage de responsabilités. Elles seront la seule collectivité compétente pour soutenir les entreprises et porter les politiques de formation et d’emploi, pour intervenir en matière de transports, des trains régionaux aux bus en passant par les routes, les aéroports et les ports. Elles géreront les lycées et les collèges. Elles auront en charge l’aménagement et les grandes infrastructures. »
Néanmoins, un point majeur manque : celui qui est du domaine des conseils généraux actuellement, c’est-à-dire les politiques publiques du domaine social. Or ce domaine reste sans réelle affectation : on imagine que la chose sera, selon les contextes, soit sous la houlette de l’intercommunalité soit sous celle de la région.
Et plus généralement qu’est-ce qui fait que cette réforme, puisque c’est le leitmotiv de l’époque, est une réforme de gauche, c’est-à-dire prenant en compte une dimension double : celle de progrès et celle de justice (1).
Rétablir la confiance
Finalement on a le sentiment que la réforme se résume en une affaire de découpage et de délimitation des structures intérieures du pays. On ne voit pas vraiment quels retours d’expérience, en France et à l’étranger, ont permis d’opter pour des régions plus grandes par-ci et pour des régions inchangées par-là, donc de fait relativement plus petites qu’avant. On ne sait donc pas quels critères ont été utilisés pour effectuer le découpage.
Sans vouloir rallonger sans intérêt ce billet, je rappelle simplement la défiance qui s’est installée entre les citoyens d’une part et les élus et les institutions d’autre part. L’étude du Cevipof le montre année après année :
On voit bien que plus l’élu est proche géographiquement de l’électeur moins la défiance s’installe. Cela ne signifie évidemment pas qu’il faille supprimer les régions pour ne plus avoir que des communes. Cela donne cependant une idée de l’importance du mode de scrutin et du critère de proximité qui doit orienter les choix à venir.
Car je ne peux pas imaginer que les prochaines élections régionales puissent se faire selon le mode de scrutin actuel vu la taille des nouvelles régions. En effet sur une telle étendue géographique il est impossible d’établir de liens de proximité entre électeurs et élus si le scrutin de liste est maintenu en l’état.
Au-delà de la proximité géographique, la défiance s’installe également lorsque l’horizon que dresse un politique est sans lien direct avec la vie de l’électeur or les « tableaux de bord de gestion » des comptes publics ne peuvent constituer un horizon politique. Les futures régions ont besoin d’être plus concrètes, plus proches du quotidien des citoyens. On ne peut pas justifier leurs nouvelles cartes par les seules mesures d’économie, d’autant plus que ces dernières semblent bien peu assurées sur le court et le moyen termes.
Il est donc nécessaire que les nouvelles régions s’offrent un mode de scrutin garantissant la proximité de l’élu et de l’électeur. Cette proximité fera en sorte que les options politiques qui se dégageront de la campagne et ensuite l’horizon politique qui se dessinera durant le mandat seront clairs et précis. C’est le seul moyen de générer le plus d’améliorations concrètes dans le quotidien des citoyens et le moins de déceptions possible.
On voit ainsi que courir après la réforme sans en définir les pourtours et les contenus n’est nullement efficace. Cela peut même être contreproductif : à force de ne pas expliciter l’horizon, le verbalisme guette ! Espérons donc que la loi qui sera présenter le 18 juin au conseil des ministres porte l’attention nécessaire sur le fond (prérogatives, moyens, mode de scrutin, etc.) de ce que seront ces futures régions.
(1) Jacques Julliard dans Les gauches françaises (Flammarion, 2011, p.29 sq.) : « La gauche est née de deux grandes idées, l’idée de progrès et l’idée de justice. La première est le produit de la raison judéo-chrétienne, qui s’est incarnée dans l’esprit scientifique auquel les Lumières du XVIIIe siècle et surtout l’Encyclopédie ont donné un nouvel élan, grâce à son prolongement pratique : la technique. La seconde idée est le fruit d’un sentiment que l’on peut dire éternel, dont le mouvement ouvrier naissant, victime d’une société profondément inégalitaire, a fait au XIXe siècle une exigence fondamentale : le sentiment de justice […].«
Un commentaire sur “Une réforme nécessaire, peut être, mais tout dépend de ce qu’on y met”