Pendant que Nantes Metropole organisait un événement mettant le marché de l’emploi au plus près des demandeurs et des créateurs d’emplois, le candidat du Front national pour la mairie de Nantes annonçait une esquisse de son programme « séparatiste ».
En réalité Christian Bouchet, candidat depuis avril 2013, a annoncé 55 mesures « pour rendre Nantes aux Nantais » comme il le dit lui-même à Ouest France. Je n’ai pas trouvé le détail de ces mesures sur le site du Rassemblement Bleu Marine, mais peut être est-ce bien caché ou pas encore totalement prêt ou est-ce une priorité donnée aux médias laissant les citoyens loin derrière ? En attendant, on est bien obligé de se rabattre sur ce qu’en dit la presse. L’article de 20 Minutes a retenu mon attention, car on y devine la stratégie du Front national à Nantes et probablement partout en France à l’occasion des élections municipales de mars 2104.
Bouchet charcute Guilluy
Christian Bouchet a lu le livre de Christophe Guilluy paru en 2010 (et reparu le mois dernier en édition de poche que je conseille aux lecteurs de ce blog). Il a dû bien l’assimiler, car il en reprend la thèse principale qu’il adapte à sa façon pour l’utiliser dans sa campagne électorale.
20 minutes reproduit les propos de Bouchet qui dit vouloir :
« Rendre Nantes au peuple nantais »
Bouchet qui établit un constat qui détonne :
« Les classes moyennes et populaires sont chassées au profit des bobos dans le centre et du tiers-monde dans les quartiers périphériques »
On voit ici le thème du peuple et des catégories populaires cher à Guilluy et que Bouchet élargit aux classes moyennes. On voit aussi le phénomène de gentrification : forme d’embourgeoisement où les nouveaux bourgeois appelés « bobo » remplacent les catégories les moins aisées dans les quartiers populaires des grandes métropoles. Ce thème est aussi au coeur du livre de Guilluy (Fractures françaises, François Bourin Editeur, 2010). Et on voit enfin le phénomène que Bouchet appelle, avec la morgue du nationaliste, « le tiers monde », phénomène que Guilluy évoque lorsqu’il analyse l’immigration récente qui s’installe dans les banlieues des grandes métropoles.
Gentrification
Déjà, en 2004 dans la revue Esprit, Jacques Donzelot annonçait avec maestria une France à trois vitesses :
Au lieu d’un mouvement unique et unifiant les espaces de la ville, c’est à l’avènement d’une ville à trois vitesses que l’on assiste : celle de la relégation des cités d’habitat social, celle de la périurbanisation des classes moyennes qui redoutent la proximité avec les «exclus» des cités, mais se sentent «oubliés» par l’élite des «gagnants» portée à investir dans le processus de gentrification des centres anciens.
Guilluy en 2010, et à nouveau ce mois-ci dans un remarquable documentaire de France 3 (La France en face), illustre cette thèse en l’élargissant et il en conclut une sorte de « séparatisme » social et surtout culturel qui s’installe en France :
Tout se passe comme si l’on acceptait le principe du « vivre ensemble », mais sur des territoires séparés. […] A catégories sociales équivalentes, une part importante des couches populaires refuse désormais le « vivre ensemble ». Un constat qui remet en cause l’idée que le séparatisme n’aurait que des causes sociales (Fractures françaises, ch. 10).
Nantes, ses quartiers, sa sociologie
J’ai brièvement évoqué ici le mouvement conduisant les catégories populaires à quitter les grandes métropoles pour s’installer dans les zones périurbaines. L’autre face de ce phénomène est une nouvelle bourgeoisie, occupant de plus en plus de manière exclusive, l’espace urbain. Ce phénomène mérite plus ample vulgarisation sur la base des travaux de spécialistes qui l’ont longuement analysé pour la France et d’autres pays européens. Surtout, ce phénomène mérite de réelles réponses qui doivent être développées durant la campagne des municipales.
Nantes est moins touché que d’autres métropoles par ce double phénomène. Un groupe de sociologue (Masson et al., Sociologie de Nantes, La Découverte, 2013, ch. III) étudie le sujet du clivage social entre quartiers populaires et quartiers gentrifiés. Sans nier la réalité de ce clivage, les auteurs font le constat suivant :
Le mélange social […] est réel, car il est encouragé par les infrastructures de transport et les politiques municipales […].
Et concernant le logement social :
A partir de 1989 […] les grands ensembles [HLM] nantais font l’objet d’interventions sociales, mais aussi d’une politique d’attribution plus sélective. Il s’agit d’encourager la « mixité », de développer l’emploi [et] la citoyenneté. Dans le rapport annuel 2012 sur le mal-logement de la Fondation Abbé Pierre, Nantes Métropole est citée en exemple […] pour ses efforts en faveur du logement social.
La politique municipale de la gauche ne se contente pas de soutenir le logement social, mais élargit son action au « logement abordable », celui qui concerne les moins aisés des membres de la classe moyenne. Masson et al. soulignent ainsi :
En 2008, dans des opérations « mixtes » qui mêlent souvent habitat collectif et habitat individuel groupé, en rupture avec le modèle des grands ensembles, Nantes Métropole et ses élus, tout en poursuivant l’objectif de construire du logement social, mettez en avant un nouveau type de produit résidentiel : le logement abordable. Destiné aux ménages primo-accédants aux revenus intermédiaires, il garantit un prix de vente en moyenne inférieur de 20% au prix du marché. Les stratégies des élus privilégient le milieu de l’échelle sociale.
Voilà donc des actions que la majorité de gauche à la municipalité de Nantes met en oeuvre en faveur des classes populaires et des classes moyennes et je parie, sans prendre beaucoup de risque, que cette orientation sera poursuivie dans le cas où les Nantais lui renouvellent leur confiance.
La contradiction comme révélateur
Bouchet évoque le logement social, mais c’est pour laisser croire qu’on y privilégie les familles immigrées. Il dénonce dans 20 minutes la « tendance à [y] favoriser les demandeurs issus de l’immigration ». Il évoque aussi « le tiers-monde [qui profite] des quartiers périphériques ». Or les sociologues cités ci-dessus donnent, eux, des chiffres précis :
Les quartiers périphériques se différencient du reste de la ville par une présence d’étrangers au moins deux fois supérieure à la moyenne communale de 4,8%.
Ainsi 10 ou même 20% d’étrangers offusquent Bouchet alors que chacun sait que le logement social en quartiers périphériques s’adresse aux plus défavorisés, sur critère de revenus, sans distinction de race ou de religion comme il se doit dans une République. Et on imagine bien qu’une partie importante des étrangers que la France accueille (à tort ou à raison, cela n’est pas du domaine de la politique municipale) sont parmi les personnes les plus défavorisés. Or que fait Bouchet, il les désigne à ce qu’il imagine être la vindicte populaire.
D’ailleurs le terme « tiers-monde » utilisé par Bouchet trahit le fond de sa pensée : si ces étrangers étaient scandinaves, il n’en parlerait peut-être pas comme il le fait. Il est probable que Bouchet ne s’adresse qu’aux électeurs xénophobes même si le candidat « bleu Marine » se cache derrière la défense du « peuple nantais » qu’il ne définit pas d’ailleurs, mais on imagine bien ce qui se cache derrière.
Le vrai programme du FN est donc la lutte contre l’étranger, tout étranger qu’il rattache à une invasion des populations du sud débarquant au nord de la planète. Le vrai programme du FN n’est donc pas la défense des classes populaires et j’en veux pour preuves la contradiction que j’ai relevée en lisant 20 minutes qui rapporte :
En matière d’habitat, Christian Bouchet, opposé à la densification de la ville, veut faciliter l’accès à la propriété et revoir les règles d’attribution de logements sociaux.
Il va de soi que si l’on veut garder les classes populaires dans la ville, il faut mieux maîtriser le coût du logement. On a évoqué ci-dessus les politiques en ce domaine de la majorité de gauche. On sait également que pour que les prix soient maîtrisés, la loi de l’offre et de la demande poussera les pouvoirs publics à « monter » au lieu de « s’étaler » si je puis dire. La densification me paraît donc inéluctable à moins qu’on veuille avoir uniquement des maisons individuelles, pour gens aisés par définition, dans une ville qui ne cesse de s’étaler mordant ainsi largement sur les surfaces agricoles.
Un programme séparant les classes populaires selon leurs origines
Et pourtant la densification est rejetée par Bouchet. On dirait donc que le FN nantais veut faire revenir le « peuple » dans la ville, mais sans s’en donner les moyens que la majorité socialiste déploie au quotidien. J’en déduis simplement que le FN ne défend les classes populaires qu’en façade : sa véritable bataille ailleurs, c’est celle de favoriser les favorisés, par exemple en défendant les maisons individuelles en plein centre-ville. Mais en passant, le FN se plaît à séparer les catégories populaires entre celles vivant ici depuis plusieurs générations (qu’il qualifie de « peuple nantais » pour noyer le poisson) et celles issues d’ailleurs (qu’il qualifie de « tiers monde »). Ce programme « séparatiste » est à l’exact opposé des principes de la République française qui ne fait pas de distinction entre citoyens et qui lorsqu’elle admet des étrangers sur son territoire travaille à leur intégration et à leur assimilation (je n’ai pas peur du mot et je sais de quoi je parle) en vue de leur naturalisation.
Alors oui, parfois la mise en oeuvre de ses principes est défaillante. Oui la crise économique ne simplifie pas la tâche des élus et des administrations dans cette oeuvre intégrationniste. Oui il est nécessaire que les électeurs à l’occasion de cette échéance municipale passent le message aux élus et aux candidats : intégration et ascenseur social sont une absolue nécessité.
Mais non, il n’est pas naturel pour un républicain de séparer comme Bouchet le fait en montant les uns contre les autres. Non, il n’est pas naturel pour un républicain de fermer toutes les portes de l’intégration comme Bouchet le fait en montant les uns contre les autres et en insultant certains en les qualifiant de « tiers-monde ». Mais Bouchet est-il républicain comme il l’affiche sur son profil Twitter ? Nous le saurons lorsque ses 55 mesures seront rendues publiques…
dejà public camarade! http://fn-loire-atlantique.fr/?p=4272
Mon billet ci-dessus a été publié le 16, leur publication date du 22 si j’en crois leur site
En tout cas merci pour le lien, je vais regarder ça de près