Des dénominations de l’islam politique

L’Orient était peut-être déjà compliqué à l’époque du « Général » mais sa complexité n’a cessé de s’accroître depuis cette époque : au passé colonial et au conflit israélo-arabe est venu se rajouter la dimension religieuse du rapport conflictuel qu’entretiennent occident et orient. L’islam a une dimension politique dont la terminologie n’est pas encore totalement stabilisée. Elle l’est peut-être chez les universitaires (?), mais l’usage des mots dans les médias de masse laisse souvent à désirer et prête le flanc aux confusions et aux manipulations les plus dangereuses. Essais de définitions…

Le vocable « islamisme » n’est pas assez différenciant par rapport à l’islam,la religion musulmane, au sens large du terme. Le mot prête à confusion dans les esprits les moins informés et par les temps qui courent, il y a déjà suffisamment de confusion pour que chacun fasse l’effort de ne pas en rajouter. On notera l’effort fait par le gouvernement français lors de l’opération militaire au Mali où le vocable utilisé était celui de « jihadiste » en lieu et place de l’habituel « islamiste » et on ne peut que louer cet effort de précision des autorités françaises.

Le terme « islam politique » ne correspond pas à la réalité que l’on souhaite d’écrire lorsqu’on pense aux militantismes armés qui ciblent le plus souvent des populations civiles. L’islam politique est le recours à une théorie politique issue de la religion musulmane. Ce recours n’est pas nécessairement violent. Qu’on l’apprécie ou non, la doctrine politique pratiquée ces dernières années en Turquie par l’AKP rentre dans le cadre de ce que l’on peut appeler l’islam politique sans avoir aucune forme de violence physique.

« Jihadiste » est un terme qui s’est démocratisé depuis l’intervention française au Mali, mais il ne permet pas de se focaliser sur les militants évoqués ci-dessus dans la mesure où toute lutte légitime ou non peut être appelée jihadJihad en arabe signifie « lutte » ou « combat ».

D’ailleurs, on a pris l’habitude, à raison je pense, de noter qu’il existe un « petit jihad » qui est celui de la guerre matérielle opposant le croyant au non-croyant alors qu’il existe aussi un « grand jihad » qui est le combat spirituel que le croyant doit mener en lui-même. Ainsi lorsqu’on évoquait les « moujahidin » en Afghanistan dans les années 80, on pensait aux « combattants de la liberté » qui étaient en réalité des résistants face à l’occupation soviétique. Parmi eux se trouvaient des partisans de l’instauration par la force de la loi islamique, mais ce n’était pas ce qui les caractérisait le mieux, en tout cas tant qu’ils étaient focalisés sur la lutte contre l’occupant soviétique. « Jihadiste » n’est que la francisation de moujahid (au pluriel moujahidin), lutteur. On voit ainsi que ce terme n’est pas non plus assez précis.

Le terme « salafiste » vient de « salafisme » qui est la doctrine qui promeut une forme d’islam où le rôle des ancêtres, des pères (en arabe le sala signifie « ancêtre » ou « prédécesseur »), est donné comme unique exemple applicable. Les « salafistes » (francisation de salafyin, pluriel de salafi) ne sont pas tous des militants usant de violence pour imposer aux autres, tous les autres, leurs règles de vie tout droit sorties d’un autre millénaire. Certains d’entre eux sont des quiétistes non violents usant seulement du prêche pour attirer les musulmans et non-musulmans à leur mode vie. Leur objectif reste néanmoins de vivre, en théorie, comme à l’époque du Prophète puis qu’il s’agit de vivre comme le salaf –l’ancêtre. La transition vers ce mode de vie peut se faire par la violence.

Le terme « wahhabite« , un peu comme « salafiste », est relié à une doctrine qui sous-tend une certaine pratique de l’islam. C’est celle qui a permis la fondation et le développement du Royaume d’Arabie Saoudite : la famille Saoud a établi son pouvoir en s’alliant à Mohammad Ben AbdelWahhab (théoricien d’une forme très rigoriste, et jusque-là minoritaire, de l’islam) et plus tard aux États-Unis qui avaient besoin d’un régime solide pour tenir une grande région instable très riche en pétrole (réunion « maritime » de Roosevelt et d’Abdulaziz en 1945, cf image en tête de ce billet). Poussé par les pétrodollars saoudiens et bientôt qataris, le wahhabisme s’est répandu progressivement au-delà de la seule péninsule arabique que rien ne le prédestinait à quitter sans l’avènement du pétrole dans l’économie mondiale après 1945. Même si le wahhabisme est la théorie religieuse que suivent les salafistes et autres militants violents ultra-présents sur nos petits écrans depuis le 11 septembre 2001, on ne peut pas honnêtement utiliser ce terme pour évoquer le militantisme violent inspiré par une certaine lecture rigoriste de l’islam.

Le vocable qui me semble être le plus précis me paraît être celui qui s’appuie sur le mot takfir de la racine arabe kfr (prononcer kefer). Les « takfiris » (ou les « takfiristes », je ne sais pas quelle serait la meilleure francisation) sont ceux qui se caractérisent par leur rejet de l’autre, quelqu’il soit, car considéré comme infidèle ou mécréant ou niant Dieu. En effet, le kefer est le fait de nier Dieu, d’apostasier. L’apostat, celui qui commet l’apostasie est appelé kafer (pluriel kouffar). Celui qui considère que si tu n’as pas exactement la même doctrine religieuse que lui alors tu es un kafer, celui-ci est appelé un takfiri. Ca pourrait, peut être, être traduit par un néologisme, « apostasiateur » ou « apostasieur », mais la notion d’apostasie n’étant plus comprise par nos contemporains, il me semble inutile de leur rendre les choses encore plus complexes qu’elles ne le sont. Je pense donc que le recours au mot takfiris pour désigner ces militants qui considèrent l’Autre, tout Autre, comme apostat méritant la punition qui convient à un apostat c’est-à-dire la mort ! Ce concept a de plus l’avantage de bien désigner ces sectaires qui agissent de nos jours en Irak, en Syrie, au Liban et hier en Algérie par exemple. Ils ont tué et tueront encore bien plus de sunnites que de chiites ou de chrétiens (peu ou pas d’athées formels dans les régions où ils sévissent).

PS1 : étant en vacances, je n’ai pas pu vérifier ce que disent des universitaires tels Gilles Kepel de cette problématique linguistique

PS2 : pour la même raison, je n’ai pas pris le temps d’inclure dans ce billet suffisamment de références (liens vers d’autres textes plus approfondis)

[PS du 05/09/13 l’excellent @nidal_loubnan a redécouvert ce texte de 2007 qui développe la dénomination « takfiri »]

8 commentaires sur “Des dénominations de l’islam politique

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