« Notre ennemi n’a pas de nom »

On sait désormais que le volontarisme du ministre joue un rôle important dans l’immobilisme ou le dynamisme de l’administration centrale. Arnaud Montebourg et ses vingt-deux commissaires du redressement productifs en sont une illustration intéressante dont le succès est reconnu même par la très libérale BFMTV. Or , grande nouvelle, la très énergique Marion Bartoli confirmait ce matin à Jean-Jacques Bourdin que le job de ministre, « ça [l’]intéresse ». La tenniswoman pensait évidemment au ministère des Sports, mais je suggèrerais plutôt que Bartoli soit nommée à Bercy : elle ne ferait pas moins bien que Pierre Moscovici et en même temps elle mettrait un peu de dynamisme dans ce haut lieu de l’immobilisme français.

L’énarque de Bercy a déjà raté la mise en œuvre de deux facteurs clefs du succès de la campagne de François Hollande :

  • il n’y a pas eu de « grande réforme fiscale » comme on pouvait l’espérer en votant pour le candidat socialiste (engagements N°14 et sq.), et
  • il n’y a pas eu de réelle rupture dans la réforme bancaire, elle aussi incluse dans le projet de la gauche au pouvoir (engagement N°7).

On achève bien l’engagement n°7

Mais Moscovici n’avait pas encore fini le travail d’achèvement de l’engagement N°7. Il lui fallait s’attaquer à la taxe sur les transactions financières.

Il y a trois jours j’ai lu une tribune d’Attac et de Weed (quelle idée de s’appeler « Weed« ?!) dans Mediapart (et aussi dans Le Monde de ce jour). Je n’ai pas fait de commentaire sur le coup en me disant que c’était encore des gauchistes grincheux et qu’ils allaient certainement invoqué les « douze salopards », les piques et les guillotines ou je ne sais quelle théorie rapprochant Moscovici du lobby bancaire voir même de la « finance internationale ». Mais c’était sans compter sur l’efficacité de la communication politique du ministre lui-même.

Parce que Moscivici  communique (est-il lui aussi conseillé par les starlettes de la « stratégie » qui ont conseillé Cahuzac ou DSK ?). Il communique, oui ; et quand il le fait, ce n’est pas à moitié : il convoque le « réalisme » et le « pragmatisme » face aux outrances de Bruxelles et il ne le fait pas n’importe où. Jugez par vous-mêmes :

« Pour parvenir à cette taxe, il faut être pragmatique et réaliste et je veux dire ici que la proposition de la Commission m’apparaît excessive et risque d’aboutir au résultat inverse »

Et où prend-il cette position ? Dans un forum organisé par Paris Europlace, association qui se fixe comme objectif de « [promouvoir] l’attractivité de la place financière de Paris et [contribuer] à son rayonnement européen et international ». Ce groupe de pression fait bien son travail, la pression donc, vu que G. Mestrallet, son président, avait rencontré notre ministre des finances le 4 juin pour lui signifier ses craintes au sujet des :

risques dévastateurs du projet de taxe sur les transactions financières européen, dans son format actuel. Celle-ci, telle que proposée par les services de la Commission Européenne, aurait des effets systémiques, non seulement sur l’ensemble des activités financières en Europe, avec le risque d’une disparition de celles-ci au profit de nos concurrents internationaux, mais également sur le financement des entreprises, PME et ETI inclus, dans le contexte d’un changement de modèle du financement de l’économie européenne, qui conduit de manière inéluctable à la nécessité de développer les appels aux marchés. Elle affecterait significativement l’emploi et la compétitivité d’ensemble des places financières des 11 pays concernés.

La BrüsselKommission is the new Spartakusbund

Ma première réaction face à cette affaire a été de me dire que le financement de l’économie a bon dos. Mais même en admettant que le projet de Bruxelles soit trop pénalisant pour les places européennes qui adhèreront à ce projet de taxation des transactions financières, fallait-il que le ministre aille chez Paris Europlace à peine un mois après cette rencontre avec Mestrallet, pour annoncer que :

« Le travail [qu’il veut] mener, c’est un travail d’amélioration de la proposition de la Commission pour mettre en oeuvre une taxe qui ne nuise pas au financement de l’économie »

Les onze pays, dont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France et l’Italie seraient donc assez fous ou assez révolutionnaires et antibusiness, pour accepter que cette taxe soit étouffante pour l’économie réelle ? Tout le monde avait noté que la Commission est connue pour ses tendances gauchistes et que l’Allemagne a toujours eu une politique anticapitaliste d’une efficacité redoutable !

Donc récapitulons la position du ministre :

  • le ministre estime que la Commission de Bruxelles a préparé un projet mettant en péril les places financières et par conséquent le très stratégique financement de l’économie
  • le ministre va dans la sauterie, pardon le forum du lobby pour rassurer ce dernier qui n’a pas à s’inquiéter dans la mesure où la France, oui le ministre parle au nom de la France, ferait le nécessaire pour que les intérêts du lobby, supposés strictement équivalents à ceux du pays, ne soient pas bafoués.

En effet, à en croire Attac et Weed (toujours difficile de croire un truc qui s’appelle « Weed » mais bon!), la France chercherait à réduire le périmètre sur lequel la taxe serait applicable. Moscovici et son lobbyiste préféré nous rejouent la même technique que lors du vote de la réforme bancaire : on enlève tellement les produits et activités du périmètre d’application que, du coup, le résultat s’avère être un mécanisme vide touchant très peu l’activité bancaire incriminée. Ca a marché la première fois, pas de raison que ça ne marche pas la deuxième.

On se demande ce que les électeurs du pays de Montbéliard pensent de l’évolution de la position de Moscovici. Eux qui croyaient certainement en toute sincérité en cette guerre contre la spéculation, François Hollande avait même dit contre « la finance […] notre ennemi qui n’a pas de nom ». On se demande ce qu’ils pensent de ce brillant représentant de leur territoire qui n’a même pas eu la décence de mener une négociation discrète

 On se demande si, secrètement, Pierre Moscovici ne serait pas tellement fasciné par la personnalité de Jean-Luc Mélenchon qu’il fait tout pour lui faire gagner des voix ?! En effet, par sa façon de procéder, chaque décision de Pierre Moscovici donne un peu plus d’arguments à ceux qui considèrent que les élites, les  grands diplômés, les « fils de », ceux à qui la mondialisation ouvre grands ses bras, tous ceux-là n’ont en réalité pas de coloration politique, mais uniquement des intérêts communs qu’ils promeuvent chacun selon ses (grandes) capacités.

Pierre est secrètement amoureux de Jean-Luc, il veut lui donner raison à tout prix !

Un ministre socialiste des finances avec un peu de subtilité politique n’aurait pas fait cette déclaration et sûrement pas dans ce lieu. Il aurait d’abord négocié avec les 10 partenaires qui veulent implémenter cette mesure de justice sociale, fiscale et économique qu’est la taxe sur les transactions financières. Il aurait fait en sorte de bien distinguer les activités spéculatives de celle de financement de l’économie réelle. Il aurait peut-être mis des indicateurs précis et chiffrés permettant de distinguer ce qui est spéculatif de ce qui relève du financement « réel ». Il aurait aussi pris la peine d’expliquer cela à ses concitoyens, ceux-là, nombreux, qui ont votés pour François Hollande, ceux-là qui ont fait de Pierre Moscovici ce qu’il est. Il aurait fait cela avant d’aller masser les épaules de ceux qui ont un intérêt financier direct dans l’absence de toute taxation de leurs activités.

Ce sont des fautes politiques de novices comme celle-ci qui plombent le gouvernement. Ce gouvernement à qui on ne demande pas d’être révolutionnaire, mais tout simplement réformateur, en vrai pas « en toc » c’est-à-dire ayant tellement peu d’impacts réels qu’elles finissent par être uniquement utile à amuser la galerie et réduire d’autant la crédibilité de l’action politique.

Non, je n’ai aucune envie de laisser Mélenchon prendre le pouvoir sur moi.

Alors oui, Monsieur le Président, je suis plus que jamais d’accord avec ce que vous disiez au Bourget le 22 janvier 2012 :

« il est possible en une fraction de seconde de déplacer des sommes d’argent vertigineuses, de menacer des Etats »

Oui Monsieur le Président, la finance n’a pas changé :

 « la finance s’est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle ».

Mais oui Monsieur le Président, le volontarisme d’un gouvernement socialiste peut avoir des effets bénéfiques, mais pour cela :

« Si la finance est l’adversaire, alors il faut l’affronter avec nos moyens et d’abord chez nous, sans faiblesse, mais sans irréalisme, en pensant que ce sera un long combat, une dure épreuve, mais que nous devrons montrer nos armes. »

Et pour « montrer nos armes », nous avons besoin d’un ministre capable de montrer les dents quand une négociation l’exige et pas seulement pour sourire aux caméras ou dans les dîners en ville.

 

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