Porte à porte. Reconquérir la démocratie sur le terrain (Calmann-Lévy, avril 2013) de G. Liégey, A. Muller et V. Pons est un livre qui fait le point sur une expérience menée lors de la campagne victorieuse de François Hollande entre janvier et mai 2012. Les auteurs ont eu l’occasion lors de séjours universitaires aux Etats-Unis d’observer de près les techniques modernes employées par les équipes de campagne de Barack Obama en 2008 et en 2012. Ils ont tenté d’importer en France le porte-à-porte, non pas que cette technique soit inexistante en France, mais elle n’était pas, jusque-là, généralisée et appliquée de manière quasi-industrialisée comme c’est le cas outre-Atlantique. Or c’est bien cette industrialisation que les auteurs ont souhaité mettre en œuvre en France dans le cadre de l’équipe de campagne de François Hollande en s’appuyant sur les capacités humaines du Parti socialiste. Le résultat semble assez impressionnant : 5 millions de portes frappées en 4 mois avec l’aide de plus de 150 000 volontaires (p.154). Cette opération a eu un effet médiatique certain : tous ceux qui s’intéressent à la politique se rappellent de l’opération avec Ségolène Royale, le 7 mars 2012 à Bagneux (p.167).
Le livre souligne plusieurs points intéressants, en particulier pour celui qui n’a pas participé de prêt à des campagnes électorales ou celui qui n’est pas familier avec les sciences sociales :
- les auteurs présentent deux grandes stratégies électorales (p. 107 et sq. &t 141 et sq.) :
- celle de la mobilisation des abstentionnistes : il faut aller les chercher là où ils sont et pour atteindre cet objectif le porte à porte est très efficace même s’il ne permet pas de développer des thématiques très précises et qu’il se contente de quelques minutes passées avec un abstentionniste qu’on convainc d’aller voter
- celle de la persuasion des indécis : il faut approfondir le discours en développant devant les militants et sympathisants les orientations politiques qu’ils espèrent
- les auteurs s’appuient sur l’augmentation tendancielle de l’abstention en France pour orienter leur candidat vers la stratégie de mobilisation des abstentionnistes qu’ils jugent comme ayant joué un rôle crucial dans la victoire de François Hollande
- les auteurs présentent les techniques américaines liées au porte à porte comme étant scientifiquement fondées notamment sur les expériences de terrain, « méthode d’évaluation randomisée » (p. 61 et sq.), qui importent dans les sciences sociales les techniques de la médecine : on sélectionne un groupe de 1 000 qu’on divise en deux parts strictement égales, le premier sous-groupe est soumis à un traitement (ici : le porte à porte) et un deuxième n’y est pas soumis, une fois l’épreuve passée (ici : l’élection) on mesure l’effet du traitement sur chacun des sous-groupes et on conclut dans le cas du porte à porte que les abstentionnistes diminuent chez ceux qui ont subi le traitement
- Les auteurs décrivent en détail dans leur livre les méthodes d’organisation des volontaires et les caractéristiques de l’interaction à avoir avec les citoyens abstentionnistes qu’il s’agit de mobiliser pour qu’ils aillent voter et ainsi augmenter le nombre de voix favorables au candidat promu durant le porte à porte, on notera aussi les apports des nouvelles technologies dans l’organisation de ce type de campagne ainsi que les obstacles présents en France en raison des règles liées la CNIL
L’ouvrage est très instructif sur ces trois aspects et assez convaincant dans sa promotion de la stratégie de mobilisation des abstentionnistes. Il permettra aux militants de tous bords de revoir leur façon de mener campagne : non pas qu’une révolution soit nécessaire dans ce domaine, mais les apports d’études récentes peut toujours améliorer l’efficacité d’une campagne et éviter que le camp adverse progresse seul en adoptant des techniques pourtant accessibles à tous à condition d’en être conscient.
On regrettera la tendance qui se dégage du livre mettant trop sur un piédestal les techniques américaines allant parfois jusqu’à caricaturer les façons de faire des politiques français. Ce manque de recul vis-à-vis des techniques américaines (à peine une critique sur la violence et le caractère superficiel de la publicité électorale) nuit à la crédibilité de certaines analyses des auteurs. Et cette « fascination américaine » ressort dans l’avant-dernier chapitre de l’ouvrage que je vais maintenant évoquer.
La dernière partie de l’ouvrage traite deux sujets importants s’éloignant légèrement du thème central de l’ouvrage : la nécessité d’ouvrir les partis politiques sur la société avec un développement particulier des auteurs sur la question de l’inclusion des Français nés à l’étranger ou en outremer ou ceux dont les parents sont nés à l’étranger ou en outremer.
Le titre du chapitre (p. 265 et sq.) est « La couleur de la peau influence-t-elle la participation électorale? »
Si je puis dire : la couleur est annoncée d’entrée de jeu ! Les auteurs partent du constat que le modèle républicain d’assimilation au moins du point de vue de « la participation politique des citoyens des minorités ethniques » (p. 270). La « fascination américaine » des auteurs transparaît dans la critique du modèle républicain assimilationniste : un chercheur américain »montre que la participation électorale des Français issus des minorités ethniques est notoirement inférieure à la moyenne de la population française […]. En outre, leur représentation politique et leur place dans les partis politiques sont limitées […] » (pp. 271-272). Les auteurs indiquent pourtant que les déterminants sociodémographiques ramènent ces Français d’origine étrangère au même niveau que leurs compatriotes sans origines étrangères soumis aux mêmes déterminants sociodémographiques. Pour contrer l’argument sociodémographique, ils ont recours aux chiffres qu’ils ont constatés durant leur campagne test, celles des régionales d’Ile de France en 2010, et ils en concluent qu’il faut être au contact (par le porte-à-porte par exemple) de la population immigrée pour qu’elle prenne part au vote. Jusqu’ici tout va bien et on peut faire confiance à une conclusion basée sur une expérience de terrain. Mais nos auteurs considèrent que la prise de contact via le porte-à-porte est partiellement suffisante pour contrer le « sentiment d’exclusion » (p. 276) qui génère la non-participation. Liégey, Muller et Pons estiment qu’il est nécessaire d’aller plus loin, notamment parce que selon eux, les électeurs immigrés ou d’origine immigrée, en manque d’intégration politique, votent majoritaire à gauche. L’exemple de la campagne d’Obama est à nouveau ici donné !!!
Et nos auteurs d’aller encore plus loin en appelant de leurs vœux l’augmentation du nombre de candidats issus des « minorités ethniques » (p. 286) au travers de la mise ne place de quota. Et ils disent constater « que lorsqu’un parti, de droite ou de gauche, présente un candidat issu d’une minorité, il augmente son soutien parmi les électeurs des minorités déjà actifs » (p. 294). Les auteurs rejettent d’un revers le potentiel risque, pourtant réel à mes yeux, de communautarisme en une moitié de page (p. 299), mais oublient un élément crucial que leur idée casserait magistralement, si elle était, un jour mise en œuvre : en France c’est le mérite* de chacun qui le conduit là où il souhaite être. Même si ce principe n’est pas toujours concrétisé dans une société en crise profonde telle que la nôtre en 2013, il n’en reste pas moins qu’il nous faut maintenir les principes républicains, il nous faut sauvegarder les valeurs qui sont à la base de notre pacte républicain, ces bornes au-delà desquelles nous changeons de société pour ne pas de régime politique. Quel serait mon mérite si on me disait que parce que j’ai un nom arabe je dois contribuer à réduire le sentiment d’exclusion des Français d’origine arabe de ce pays ? Je ne rencontre pas les problèmes qu’eux rencontrent en raison des conditions sociales et économiques dans lesquelles ils vivent pour une part d’entre eux sans pour autant nier les difficultés issues d’un racisme lattant, mais sans les survaloriser pour autant. C’est donc un candidat proche de leurs difficultés, de leurs catégories socioprofessionnelles, qui les représentera le mieux et par sa représentativité les aidera à sortir de ce sentiment d’exclusion du système politique français. Un ouvrier, quelle que soit la sonorité de son nom, comprendra toujours mieux que quiconque les conditions de vie d’un autre ouvrier ayant par exemple un nom arabe. C’est dans cette perspective que je rejoins les auteurs dans leur dernier chapitre appelant à l’ouverture des portes et des fenêtres des partis : peut-être une telle ouverture permettrait-elle de créer les conditions d’une meilleure représentativité, au-delà des habituels candidats issus de la fonction publique ou des professions libérales…
Nos auteurs concluent leur livre sur un thème stratégique pour la vie politique française et même pour la République elle-même, celui de la nécessité d’ouvrir les partis (le Parti socialiste en l’occurrence) sur la société de manière à être capable d’en refléter les attentes. Cela est particulièrement nécessaire pour le Parti socialiste qui est loin de comprendre et encore moins de refléter les attentes de la société dans la mesure où il est de fait, probablement malgré lui, centré sur un noyau d’élus, de collaborateurs d’élus et de militants sociologiquement peu diversifiés (pp. 314-315).
Je conclurai cette recension par une citation des auteurs où ils développent une idée qu’il me semble absolument vital pour le Parti socialiste de mettre en œuvre (p.36) :
« Les partis ne parviendront à contacter et à mobiliser un nombre croissant d’électeurs que s’ils attirent au préalable un nombre croissant de volontaires. La distinction stricte entre militants actifs (aujourd’hui de moins en moins nombreux) et le reste des électeurs, parfois passionnés, mais passifs, doit être assouplie. Ouvrir plus largement les partis permettra aussi de changer les modes de pensée de leurs responsables et d’atténuer les mauvaises incitations à la constitution de baronnies locales au sein des partis politiques« .
* : François Hollande au Bourget, le 22 janvier 2012 : « Je veux, je veux que nous allions ensemble vers la France de demain ! Une France du travail, du mérite, de l’effort, de l’initiative, de l’entreprise, où le droit de chacun s’appuiera sur l’égalité de tous.«