Dans la famille Huntington j’appelle Inna Femen

Les Femen ont encore fait parler d’elles aujourd’hui : seins nus, elles ont brûlé un drapeau salafiste devant la Grande mosquée de Paris le tout sous couvert de soutien du féminisme arabo-musulman et en particulier pour supporter la tunisienne Amina Tyler. Mais ces actions des Femen constituent-elles un soutien effectif pour les féministes arabes ? J’en doute et ce pour plusieurs raisons.

Capture d’écran 2013-04-04 à 21.19.19Il y a deux jours, dans son édito dans le quotidien libanais Annahar (ici en arabe), la militante féministe Joumana Haddad notait, à juste raison, que le mouvement Femen, et son extension tunisienne au travers d’Amina Tyler, placent la femme arabe devant deux options alternatives : le voile ou la nudité. Celle qui note cette sorte d’impasse infernale pour la femme arabe est fondatrice et rédactrice en chef d’une revue intitulée Jasad (Corps).

Le voile ou la nudité

Il n’y a qu’à voir le logo de la revue pour se rendre compte que Haddad n’est pas une affreuse conservatrice, loin s’en faut, défendant la pudeur féminine orientale. Concernant les deux alternatives qu’elle signale, Haddad souligne que :

.كأني بالسلطة البطريركية تسألنا: « ما خياركن أيتها النساء؟ أهو الحجاب أم العري؟ عليكن باختيار جانب من الاثنين ». كأن لا خيار ثالثاً بينهما […]

soit en bon français :

[…] comme si l’autorité patriarcale demandait [aux femmes] : « quel est votre choix ? est-ce le voile ou la nudité ? Vous devez choisir l’une des deux alternatives ». Comme s’il n’y en a pas une troisième.

Elle signale aussi que les méthodes de Femen constituent un extrémisme qui peut alimenter l’autre extrémisme, celui qui contraint la femme sous couvert de tradition religieuse. Mona Chollet allait dans le même sens dans son Femen partout, féminisme nulle part.

Progressisme néocon

Voilà donc que le féminisme arabe lui-même qui s’interroge sérieusement sur l’efficacité, voir le caractère contreproductif, d’actions militantes façon Femen. Mais le paradoxe ne s’arrête pas ici.

240px-GD-FR-Paris-Mosquée012En effet, la branche parisienne du mouvement Femen a opté pour une action dénonçant le salafisme, mais cette action fut mise en œuvre devant la Grande mosquée de Paris où les Femen françaises ont brûlé l’oriflamme du salafisme, le drapeau noir portant la Chahada (le « Témoignage » : « je témoigne qu’il n’y a de dieu que Dieu et que Mohammad est son messager« ). Or ce haut lieu historique de l’islam français n’est pas connu pour être un nid de militants radicaux remplis de haine contre l’Occident. La réaction de Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée, en mars 2012 après les tueries de Montauban et de Toulouse est assez explicite dans le sens du rejet du radicalisme, celui de la mouvance salafiste que dénoncent les Femen.

Ainsi, Femen associe, consciemment, ou non, le principal symbole de l’islam français (la Grande mosquée de Paris) au symbole de l’islam radical militant (drapeau noir du salafisme). En établissant médiatiquement cette association, nos amies féministes mélangent l’islam, en tant que religion posée et potentiellement intégrée à la communauté nationale, à l’islam en tant que civilisation perçue comme radicalement opposée à l’Occident (dont la France est une composante essentielle entre autres du fait de son histoire notamment depuis 1789). Cet islam, en partie imaginaire, que promeuvent les militants radicaux qu’ils soient activistes salafistes ou jihadistes plus ou moins rattachés à Al Qaëda.

Nos féministes aux torses nus s’inscrivent ainsi dans ce même schéma qu’a promu Samuel Huntington dans son fameux Choc des civilisations (The clash of civilizations?, Foreign affairs, 1993). Un schéma qui fait se dresser l’une face à l’autre deux civilisations essentiellement définies par leurs religions dominantes. Or que font les Femen en général, et elles l’ont refait hier à Paris : elles dénoncent la morale en écrivant sur leur corps « Fuck your morals« . Mais on voit bien , dans l’action d’hier, que derrière leur volonté de mettre à bas des valeurs considérées comme traditionnelles (morale, etc.), elles ne font que s’inscrire dans la mouvance néoconservatrice théoriquement à l’exact opposé de leur prétendu progressisme.

Paie ton drapeau

Femen est donc potentiellement en contradiction avec l’intérêt du féminisme qu’elle dit défendre et joue le jeu du conservatisme dont elle est censée être aux antipodes.

On notera en conclusion, pas seulement sous forme de boutade, que brûler le drapeau de celui qu’on hait est une façon bien simpliste de se défouler en s’économisant une réflexion posée et aboutie. D’autres le font et nous semblent tellement ridicules en le faisant…

burn

 

[UPDATE du 15/07/13] Le nouveau timbre que certains qualifient de « timbre du quinquennat » est inspiré, selon son co-créateur, d’Inna Shevchenko

Le Tweet du co-créateur :

 

Shevchenko qui est donc la principale des Femen évoquées dans ce billet et qui n’hésitait pas à écrire, après plusieurs autres attaques contre l’islam, ce 9 juillet :

[Une image du tweet supprimé a été retrouvée par les génies du web qui se reconnaîtront]

Capture d’écran 2013-07-15 à 15.44.45

Et elle se précipitera aussi à l’annonce de la parution de ce timbre et commentera très finement :

 

Monsieur le décideur qui a fait ce choix : bien joué !

7 commentaires sur “Dans la famille Huntington j’appelle Inna Femen

  1. Ce n’est pas un drapeau proprement salafiste, puisqu’il y est écrit la profession de foi, commune à tous les musulmans. C’est donc un acte islamophobe, haineux et stupide.

  2. Les salafistes ont en quelque sorte préémpté (désolé d’user de ce vocable) cette déclinaison là de la Chahada : lettres blanches sur fond noir…

  3. Ca serait peut etre bien de préciser la différence entre le salafisme et le Djihadisme… car 90% des medias et des politiques (et les femen) font l’amalgame…

    1. Vous avez raison, ce ne serait pas de trop de faire la distinction. Dans mon billet je faisait référence à ce papier très bien fait : http://www.slate.fr/story/62181/papier-salafistes
      On y apprend qu’il existe des salafistes quiétistes c’est-à-dire des gens un peu plus religieux que leurs contemporains mais qui ne sont pas nécessairement de ceux qui vont porter les armes pour faire le jihad (littéralement « lutte », également traduisible par « guerre sainte »)
      Donc en principe tous les salafistes ne sont pas des jihadistes, des militants armés
      Mais dans une situation comme celle que nous vivons depuis quelques années, ce n’est pas facile de faire dans la nuance

  4. Ping: RAGEMAG

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