Copé-titivité

Jean-François Copé a eu son heure de gloire aujourd’hui (28/06/2012) : il a pu « échanger » avec la chancelière allemande sur sa volonté de convaincre François Hollande de faire de la compétitivité « la priorité absolue » de sa politique.

Ce fut pour lui une bonne façon de contre-attaquer, lui le chef de parti franco-français, en territoire international alors même que François Fillon marquait hier encore des points par plusieurs ralliements d’anciens ministres de Nicolas Sarkozy.

Car au-delà de la bataille interne de l’UMP, Copé n’avance rien de nouveau : il s’est contenté de reprendre à son propre compte l’éternelle position de Merkel sur laquelle Sarkozy s’était déjà aligné : c’est la compétitivité qui permettra de sortir l’Europe de la crise actuelle. Comme Merkel, Copé oppose la compétitivité à l’objectif de croissance que met en avant le président français. En réalité la droite et la gauche veulent accroître la compétitivité de nos économies, mais les uns veulent le faire par une déréglementation du marché du travail et les autres par de l’investissement public.

D’ailleurs, au passage Copé précisera que la compétitivité qu’il évoque ne peut être retrouvée qu’en reprenant le chemin des réformes structurelles (retraite, organisation et temps du travail) entamées lors du précédent quinquennat. À défaut d’un tel retournement, le secrétaire général de l’UMP annonce une « aggravation de notre coût du travail ».

Cette croissance par la compétitivité que les conservateurs européens appellent de leurs voeux et qu’ils opposent à la croissance par de grands investissements publics (investissements qui améliorent notre compétitivité d’ailleurs) n’est pas une idée neuve.

Déjà en juin 1993, en pleine crise du système monétaire européen, Jacques Delors, alors président de la commission européenne, était appelé, en vue du sauvetage in extremis du SME, à se positionner pour l’amélioration de la compétitivité et donc contre l’État providence et la régulation des marchés du travail en Europe. Delors prendra la voie du milieu (ça n’étonnera personne !) en considérant que la compétitivité de l’Europe devait s’appuyer, non pas sur une déréglementation d’inspiration libérale, mais plutôt sur un programme d’investissements publics, les fameux grands travaux qui devaient renforcer les positions européennes dans la compétition globale. Ces mêmes grands travaux que le président Hollande essaie d’imposer à la chancelière allemande.

Paul Krugman rappelle cet épisode dans un article qui fera date parue dans la prestigieuse revue Foreign Policy daté d’avril 1994. Krugman se sert de la position de Delors et des dirigeants européens pour avancer sa critique contre la compétitivité à tout prix qu’il considère comme étant une « dangereuse obsession ».

Dans son article, celui qui n’est pas encore prix Nobel d’économie (il l’obtiendra en 2008), avance trois principales critiques : (1) il estime comme empiriquement infondées les inquiétudes au sujet de la compétitivité, (2) il essaie d’identifier les raisons qui font que malgré cela la compétition internationale des économies crée un tel attrait chez les observateurs et enfin (3) il démontre le caractère dangereux de l’obsession de la compétitivité à la fois pour chaque économie nationale, mais aussi pour le système économique international tout entier.

Sans reproduire toute la démonstration de Krugman, retenons que pour lui, et contrairement aux vents dominants à cette époque (politique des « champions nationaux » de l’administration Clinton) les pays ne sont pas en concurrence les uns avec les autres de la même façon que les entreprises le sont. Il souligne que les États-Unis produisaient, à ce moment-là, 90% des biens et services dont ils avaient besoin. Et par opposition, l’extrême majorité des voitures vendues par General Motors ne le sont pas à des salariés du groupe. De même les entreprises sont dans la plupart des cas des purs concurrents les uns des autres (Pepsi / Coca) alors que les pays entre eux sont à la fois concurrents, mais aussi et surtout clients les uns des autres. Et donc au final, il est faux de considérer que la croissance japonaise réduit la croissance américaine. Voilà pour ce qui est de la théorie de la compétitivité que l’expérience permet de réfuter.

Krugman souligne ensuite la dangerosité de l’obsession de la compétitivité qui peut conduire à une mauvaise allocation des ressources. Il prend l’exemple d’une politique encourageant la recherche dans le domaine industriel dont les résultats concernent des produits vendus sur les marchés mondiaux. Une telle politique défavorise l’investissement dans les services dont l’essentiel de la compétition se fait sur les marchés domestiques alors même que les services ont besoin de gain de productivités donnant lieu à une augmentation de niveau de vie des travailleurs. Plus grave encore, Krugman souligne le risque de conflits commerciaux émanant de cette obsession de la compétitivité. L’économie qui ne parvient pas à bien se positionner dans le jeu de la concurrence se refermerait naturellement sur elle-même. Krugman note enfin le risque le plus sérieux, celui d’une mauvaise appréhension de l’économie et d’une dégradation dans la prise de décision politique de manière générale, car la concurrence internationale devient le seul point de vue pris en compte lors de la conception et mise en oeuvre de politiques publiques.

Et le futur Nobel de l’économie de conclure :

[…] competitiveness is a meaningless word when applied to national economies. And the obsession with competitiveness is both wrong and dangerous.

[la compétitivité est un mot qui n’a pas de sens lorsqu’il est appliqué aux économies nationales. Et l’obsession de la compétitivité est à la fois erronée et dangereuse]

Voilà de quoi rassurer Merkel et Copé sur la grande valeur ajoutée de leur « aparté » sur la compétitivité et de quoi interroger le président Hollande sur les fondements théoriques du volet « croissance » du nouveau pacte européen qu’il appelle de ses voeux.

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