Si j’en crois les journaux, cet été, ma grand-mère aurait invité ISIS à sa maison de campagne au nord de la ville côtière de Lattaquié. Lattaquié dont nos journaux ne retiennent que deux caractéristiques : elle est le chef-lieu du bastion des alaouites, elle est aussi le principal port où s’approvisionne la Syrie côtière. Il se trouve aussi que c’est une ville avec des gens dedans, mais ça c’est une autre histoire, moins intéressante certainement…
Malheureusement ISIS n’est pas une belle brune aux yeux verts dont les parents auraient eu une certaine fascination pour l’Egypte antique. Et évidemment, ma grand-mère ne l’a pas invitée dans sa maison de campagne : ISIS s’y est incrustée à coup de kalach et de machettes.
ISIS, je vous en parlais sur mon mur Facebook il y a quelques jours, c’est le doux nom d’une belle bande de… barbus sans moustaches aux drapeaux noirs. Avant, on parlait de Jabhat al Nosra, groupe salafiste déclaré comme terroriste par les États-Unis (eh oui, c’est du sérieux la politique américaine au Moyen-Orient, les analystes de la CIA y font une segmentation fine et usent de métadonnées explicites qui font trembler un barbu sans moustaches). Maintenant, nos amis syriens ont, aussi, l’Islamic State in Iraq and Sham (en abrégé ISIS, en français État Islamique en Irak et au Sham, Sham signifiant Syrie pour faire court).
ISIS s’appelait ISI au début de sa carrière. Elle était dirigée par une sorte de starlette orientale du doux nom (les noms sont tous doux de nos jours en Orient) de Zarkaoui (qu’on pourrait traduire par Bleuet, je vous l’ai dit qu’il est doux mon Orient). Une fois Zarkaoui abattu par les boys américains, il a été remplacé par Baghdadi (aucun lien de parenté avec le regretté réalisateur Maroun du même nom). Baghdadi (bien vu cher lecteur, ça signifie bien l’homme de Bagdad) a suivi les traces de son prédécesseur en détruisant (une fois de plus, une fois de moins, ils ne sont pas à ça près les habitants de la capitale irakienne « libérée ») Bagdad à coup de voitures piégées dont la cible prioritaire n’était pas les headquarters américains comme on aurait pu l’imaginer, mais les quartiers chiites de la capitale irakienne. Baghdadi plus rien ne le retient : il a fait près de 1000 morts en juillet en Irak, il a considéré même un temps être le successeur légitime de Ben Laden mais a finalement dû s’incliner devant Zawahiri, il veut néanmoins étendre son influence et a inventé l’OPA non amicale en milieu salafiste.
En effet, le patron d’Al Qaeda en Irak est un fanatique de la mondialisation et des opérations transfrontières : il a voulu annexer Jabhat al Nosra qui avait un certain succès en Syrie, il a commis un communiqué de presse (oui parce que dans ce milieu, on est peut être barbu, on est peut être sans moustaches, mais on s’y connaît en com’), il a donc sorti un communiqué de presse annonçant que Jabhat al Nosra se ralliait à Al Qaeda représentée (« represent », « big up », etc.) par sa propre milice. Ainsi l’ISI devenait ISIS, changeait de logo et gagnait en parts de marché.
Du moins c’est ce que Baghdadi croyait, mais c’était partir vite en besogne parce que Golani (l’homme du Golan au cas où l’ami lecteur avait un doute), le chef d’al Nosra, n’est pas homme à se laisser fusionner facilement. Golani a refusé la fusion, Zawahiri a dû intervenir pour calmer le jeu entre les deux sous-émirs (oui parce que sous l’émir Zawahiri il y a des sous-émirs locaux, Al Qaeda a un sacré organigramme de nos jours). Et au final la « fuzac » (fusion-acquisition en langage banque d’affaires) est remise à plus tard. Mais ce serait un peu trop facile si l’affaire s’arrêtait là car n’oublie pas que l’Orient est compliqué : Baghdadi a déjà des troupes à lui sur le terrain syrien ! Il y’a donc aujourd’hui deux groupes salafistes majeurs sur le dernier né des théâtres des opérations wahhabites : oui madame, oui monsieur, les Syriens ont l’heureux privilège de voir chez eux deux milices wahhabites pour le prix d’une (oui parce que j’imagine que le financeur est le même, mais on y reviendra plus tard).
Les batailles au nord de Lattaquié en ce moment se déroulent entre l’armée d’un régime qu’il n’est plus utile de décrire (chacun en est devenu expert) et les fanatiques de l’Etat Islamique en Irak et au Cham (Cham=Syrie). Et le wahhabite n’aime pas l’alaouite comme tu peux bien l’imaginer, alors les massacres se succèdent, semble-t-il, mais on en parle moins par chez nous, soit parce qu’un alaouite mort est moins photogénique qu’un autre type de syrien mort de la même façon, soit parce qu’il n’y a pas de massacres, les wahhabites étant connus pour leur amour de l’humanité et de la nature.
Bref comme tu peux le voir, pendant que toi et moi sommes à la plage entourés de hipsters à la barbe touffue, d’autres, sur une autre côte pas si loin que ça, attendent impatiemment l’arrivée d’une autre sorte de barbus (sans moustaches, j’y tiens parce que c’est le seul moyen de les distinguer de nos hipsters à nous) bien déterminés,ceux-là, à ne pas laisser une seule Isis aux yeux verts se balader en bikini sur le sable blanc de la plage de Lattaquié…
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