Le 14 septembre, j’ai participé à une table ronde organisée par l’Institut Kervegan autour du thème « Web et démocratie« . Le billet ci-dessus reprend les idées que j’ai exprimées lors de cet événement riche en échanges auquel ont participé Bastien KERSPERN et Arnauld LECLERC.
Voyons d’abord ce qui pourrait être une définition, de fait non exhaustive, du web… Le web est littéralement une toile, c’est-à-dire un réseau avec des noeuds et des relations entre les noeuds. C’est donc d’abord un dispositif permettant une mise en relation. On notera qu’en tant que tel, le dispositif n’est ni bon ni mauvais, ni un risque ni une opportunité : la résultante de ce réseau dépendra de ce qu’en feront les noeuds et des relations qu’ils établiront entre eux.
La multitude
Chaque noeud du réseau est en effet capable de créer, de communiquer ou encore de se coordonner avec d’autres noeuds. Chaque individu composant le réseau a donc ses capacités. La mise en relation de ces capacités les décuple. C’est ce que deux auteurs français, Henri Verdier et Nicolas Collin, appellent la « multitude » dans un livre fondamental paru en 2012 (L’âge de la multitude, Armand Collin, 2012).
Le web est une plateforme libre et ouverte : qui veut y entre et qui veut en sort pour peu qu’il ait le moyen technique de se connecter ce qui est devenu de nos jours une denrée presque aussi nécessaire que l’eau ou l’électricité. Et en tant que plateforme libre et ouverte, le web est le « lieu » où les individus mettent en commun leurs capacités. Le web devient ainsi le moyen de libérer la force de la multitude.
La multitude ce sont des individus qui constituent une communauté en dehors des organisations préexistantes, c’est ce qu’on peut appeler des externalités. Il s’agit de communautés créatives, reliées et mobiles. La multitude est fondée sur une puissance créative externe aux institutions.
Résultats contrastés
Or mettre en mouvement de telles communautés peut consolider la démocratie :
- citoyens mieux informés donc ayant de meilleures capacités à contribuer à l’élaboration de politiques publiques rendant ces dernières plus efficaces (je pense en particulier aux capacités numériques que nous prévoyons, à Nantes, de mettre en place pour donner une dimension numérique au dialogue citoyen tout en sachant qu’on ne peut pas tout miser sur le web en raison de la fracture numérique),
- citoyens dans des états autoritaires capables de s’informer, de communiquer et de se révolter en partie grâce aux capacités de communication et de coopération offertes par le web (je pense aux événements que nous appelons désormais « les printemps arabes » dont le déclenchement a été facilité par les réseaux sociaux qui étaient, au début du processus, hors de portée de la censure étatique).
Mais la mise en mouvement peut aussi être un risque pour la démocratie si l’objectif poursuivi par ledit mouvement est antirépublicain :
- on prendra ici comme exemple typique les phénomènes tels ceux des polémistes d’extrême droite Alain Soral ou Dieudonné Mbala Mbala,
- on pense aussi aux organisations jihadistes telles Al Qaëda ou l’organisation qui s’autodésigne comme l’ »Etat islamique« .
Mais voyons en quoi la démocratie peut se servir du web comme d’un levier pour se consolider…
Gouvernement du peuple
La démocratie au sens strict est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » pour reprendre le mot de Lincoln. Le Lexique de science politique (Dalloz, 2011) la définit comme le « régime dans lequel la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens, qui l’exercent à l’occasion d’élections libres et disputées intervenant à intervalles réguliers ». La même notice élargit la définition en établissant trois conditions essentielles relatives au fonctionnement du régime politique que nous appelons « démocratie » :
- la participation directe ou indirecte des citoyens dans l’exercice du gouvernement politique
- le pluralisme politique assuré par un système où plusieurs partis politiques sont en libre compétition
- l’alternance au pouvoir ce qui signifie que ce dernier n’est pas accaparé par les mêmes
Mais la démocratie ne peut fonctionner sans état de droit, notamment garantissant les droits fondamentaux : un système juridique stable garanti par une justice indépendante.
Entre deux jalons électoraux
Le web, ce réseau libre et ouvert permet de mobiliser la multitude en dehors des grands jalons de la vie démocratiques que constituent les élections qu’elles soient nationales ou locales. Le web, parce qu’ouvert et libre, permet aux citoyens, individuellement ou de manières organisées, d’intervenir dans le débat, de délibérer, d’apporter des éclairages dont les élus ont souvent besoin entre deux jalons électoraux.
Il n’y a plus personne qui conçoit un produit ou un service sans prendre en compte, dans sa conception ou son test parfois même dans sa réalisation, les futurs utilisateurs. Il n’y a aucune raison que les pouvoirs publics se coupent de cette formidable opportunité de prendre en compte l’avis des usagers dans la conception, la production et l’évaluation des services publics, au sens large du terme, qui sont un bien commun.
Si on le fait pour des produits et services qui n’ont rien de vital, on s’imagine mal ne pas le faire pour des services qui facilitent notre vie quotidienne.
Web, expertise d’usage et intelligence collective
Il s’agira donc pour les pouvoirs publics, désignés au travers de la démocratie représentative, de prendre en compte, au travers de la démocratie participative, l’expertise d’usage, c’est-à-dire le fruit de l’intelligence individuelle des usagers des services publics. Cette prise en compte peut être facilitée grâce au web qui sert alors de vecteur de communication interactive, c’est-à-dire dans les deux sens. Ce vecteur a pour avantage de permettre l’accès à un segment de la population qui, de fait de ses contraintes spécifiques, ne participe pas aux modalités classiques de la démocratie participative telles qu’elles se sont développées jusqu’à il y a quelques années (horaires inadaptés, impossibilité de se déplacer, etc.).
Mais l’intelligence individuelle ne suffit pas, car ce que les pouvoirs publics cherchent, ce n’est pas l’intérêt particulier, mais l’intérêt général. C’est là où la démocratie participative laisse agir la méthode délibérative qui fait sortir de cette confrontation des intelligences individuelles ce que je nommerais une intelligence collective, garante que le résultat de la délibération n’est pas une simple addition d’intérêts particuliers parfois divergents. Là aussi le web est un vecteur qui permet de décupler la puissance de la multitude que j’évoquais ci-dessus : cette créativité externe aux institutions est facilitée par le réseau et les confrontations d’idées qu’il permet à sa façon.
L’ouverture et la liberté du réseau n’excluent évidemment pas les règles de vie commune qui permettent au web, utilisé dans un processus démocratique, de délivrer des résultats tangibles proches des besoins des citoyens.
Expertise d’usage et intelligence collective peuvent user du web comme d’un levier décuplant ainsi leurs résultats. Apparaît donc avec le web un enjeu majeur de ces nouvelles pratiques démocratiques. Nous devons réussir à mettre en place une « réseau » ouvert et libre pour que ce vecteur soit un facteur de succès du dialogue citoyen et de la co-construction du bien commun à tous les citoyens.

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