Monsieur de Rugy,
Vous êtes député de Nantes-Orvault-Sautron, première circonscription de Loire Atlantique. Vous êtes également co-président du groupe écologiste à l’Assemblée nationale.
Je suis un simple citoyen, électeur de la circonscription dont vous êtes l’élu. Peut-être devrais-je ajouter que j’ai voté pour vous en respectant l’accord électoral conclu en 2011 entre le Parti Socialiste et Europe Ecologie – Les Verts, mais ce détail est probablement anecdotique.
Je me suis permis de vous interpeler avant hier (via Twitter) au sujet d’une tribune publiée sur le site Rue89 par votre collègue député écologiste M. Noël Mamère .
Noël Mamère et son fantasme honteux
En effet votre collègue, membre du parti dont vous êtes l’un des dirigeants nationaux et du groupe dont vous assurez la co-présidence, s’est permis d’écrire :
De fait, un racisme d’Etat, utilisant l’amalgame entre musulmans, islamistes, terroristes et immigrés, s’est lentement insinué dans la société française, préparant le terrain à des conflits de civilisations à l’échelle des territoires.
Noël Mamère est membre, avec vous, de la majorité de gauche qui gouverne le pays depuis l’élection de François Hollande et la victoire aux législatives de 2012. Il se permet pourtant de parler de la République en des termes choquants pour chaque républicain. En effet, chacun sait à quoi fait référence, dans l’imaginaire collectif français, la terminologie « racisme d’Etat » et Noël Mamère le sait lui aussi et il joue à se faire peur en remuant un fantasme honteux : j’ai honte pour lui car il donne l’impression d’avoir envie qu’il y ait réellement un « racisme d’Etat »dans la République française de 2013.
Cette expression est souvent utilisée par des groupes militants, mais un militant qui scande un slogan en manifestant n’a pas exactement le même impact qu’un député de la nation. Cette expression est utilisée aussi par des historiens pour désigner, à tort ou à raison, une des facettes de la Troisième République, mais là aussi un intellectuel qui scrute l’histoire de France ne répond pas aux mêmes exigences qu’un député siégeant à l’Assemblée nationale.
Il est donc clair que, lorsque Noël Mamère évoque le vocable « racisme d’Etat », la principale référence est celle de l’ « Etat français » c’est-à-dire le Régime de Vichy qui a mené une politique raciste y compris au travers de son pouvoir législatif. C’est même cette politique délibérément raciale qui caractérise, avec la chute de la République et le refus de l’occupation, la Deuxième Guerre mondiale vue depuis l’hexagone. L’historien Patrick Garcia l’évoquait en 2010 dans une tribune parue dans Le Monde où il rappelait, au sujet de Sarkozy mais cela s’applique aussi à Mamère, que :
[…] si le passé est une ressource pour comprendre le présent, une instance de légitimation ou d’exécration, un facteur de mobilisation, de cristallisation des émotions, il n’en demeure pas moins que l’histoire ne bégaie pas et que plaquer le passé sur le présent, loin de toujours l’éclairer, peut aussi bien l’opacifier. C’est le risque – bien connu des historiens – de l’anachronisme, qui certes peut être un aiguillon, une sollicitation pour interroger le passé, mais peut également conduire au contresens et empêcher de penser le neuf.
Noël Mamère et ses anachroniques analogies
Noël Mamère contribue à opacifier le présent par ses sorties, mais, M. de Rugy, je ne vous ennuierai pas en évoquant le fond de la tribune. C’est la forme et donc le recours à cette terminologie qui me choque. Assimiler la République française de 2013 à l’ « Etat français » de Vichy et mettre les musulmans de 2013 dans la peau des juifs de 1940 est une confusion inadmissible de la part d’un député de la République. C’est un contresens qui empêche de penser le présent. Les lois racistes de Vichy n’ont rien à voir avec les lois de la République, fussent-elles votées à l’instigation de la droite. Noël Mamère est contre-productif pour le débat présent en ayant recours à d’anachroniques analogies.
Le député écologiste noie le débat et tire contre son propre camp. Il attaque violemment le ministre de l’intérieur, c’est-à-dire un ministre du gouvernement dont votre parti, à vous et à M. Mamère, est membre à part entière, un ministre du gouvernement que votre groupe à l’Assemblée, à vous et à M. Mamère, est censé soutenir. Le député Mamère écrit en effet :
[…] Si l’on ajoute à cela le refus de Manuel Valls d’appliquer la promesse de François Hollande d’en finir avec le contrôle au faciès, une telle conjonction ne pouvait que produire le type d’émeute à laquelle nous venons d’assister.
Les déclarations martiales du ministre de l’Intérieur, les vociférations de Christian Estrosi, Hortefeux et Le Pen n’y changeront rien.
Noël Mamère et sa double confusion
Noël Mamère dédouane les émeutiers et ceux qui refusent l’application des lois de la République. Il va même jusqu’à considérer que c’est le ministre qui est responsable de l’émeute : peut-être que ça m’a échappé, mais je n’ai pas vu Manuel Valls allumer le cocktail Molotov à Trappes ?
Je passe outre le fait que le contrôle « incriminé » n’est évidemment pas lié au « faciès » dans la mesure où il s’agissait pour les policiers d’appliquer une loi votée par le parlement, validée par le Conseil constitutionnel et non abrogée par la nouvelle majorité. Que les forces de l’ordre aient pu le faire de manière non convenable (l’IGPN est saisie) ne change rien au fait qu’une loi est faite pour être respectée et un législateur qui relativise le respect de la loi est une sorte de monstruosité dans un état de droit démocratique.
De plus le désordre intellectuel, peut être involontaire, dont fait preuve votre collègue en mélangeant les notions de « races » et de « religions » est d’autant plus inquiétant qu’il s’accompagne d’un désordre politique, délibéré celui-ci. En effet, Noël Mamère met Manuel Valls dans le même « sac » que les Estrosi, Hortefeux et, pire, Le Pen ! Que signifie une telle mise en relation ?! Si un député de gauche pousse la confusion mentale jusqu’à mettre le ministre (socialiste, faut-il le rappeler) de l’intérieur dans le même sac que la droite la plus dure et même l’extrême droite, comment voulez-vous que nos concitoyens, où qu’ils vivent, sachent encore distinguer le républicain du non-républicain ?
Un député de la majorité rabaisse la République au niveau de Vichy et met l’un des principaux ministres du gouvernement au niveau de la pire représentation de l’anti-républicanisme (Le Pen, quoi qu’elle en dise), un tel député, Monsieur de Rugy, ne mérite pas qu’on soit solidaire de lui. Un tel député, M. de Rugy, mériterait qu’on se désolidarise de lui en condamnant ses propos…
M. de Rugy, il est de temps de se désolidariser de M. Mamère
Je vous ai interpelé le jour même de la publication de la tribune de Noël Mamère et vous n’avez pas répondu. Je comprends que vos occupations à l’Assemblée sont telles que vous ne pouvez vous permettre de répondre à chaque citoyen qui vous interpelle via les réseaux sociaux et c’est tout à votre honneur : servir la République à l’Assemblée nationale est la charge le plus importante pour un député comme vous ou comme M. Mamère.
J’espérais néanmoins que vous vous soyez désolidarisé, naturellement, de votre collègue Mamère. Malheureusement, j’ai désespérément cherché sur Google et je n’ai trouvé aucune remarque de votre part à l’égard du texte de ce député membre de votre groupe parlementaire. Les aberrations qu’il s’est cru autoriser à publier au sujet de la République qu’il est censé respecter et du gouvernement qu’il est censé soutenir sont une honte.
Je vous engage donc, vous qui êtes le président du groupe parlementaire auquel il appartient, je vous engage, Monsieur le Député, de vous désolidariser publiquement des propos de Noël Mamère.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Député, mes sincères salutations.
Bassem ASSEH
Sur Twitter, vous me trouverez ici @3asseh

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